Volatilité des taux d’intérêt

6 avril 2023

Pascal Blackburne

Au cours des dernières semaines, les taux d’intérêt ont connu une volatilité exceptionnelle, avec des variations quotidiennes de 20 points de base devenant la norme. Cette situation est inédite dans l’histoire récente. Les marchés obligataires prennent manifestement au sérieux les risques de récession : de 5,1 % début mars, le rendement du Trésor américain à deux ans a chuté jusqu’à 3,6 % pendant la phase la plus aiguë des turbulences bancaires du mois dernier, pour s’établir aujourd’hui autour de 3,8 %. Les marchés boursiers, quant à eux, se sont rapidement remis de la correction de la mi-mars, parvenant même à clôturer le mois en territoire positif. Mais si leur optimisme relatif concernant la trajectoire économique peut être justifié, grâce aux mesures opportunes de la banque centrale en matière de liquidités et à la reprise (rapide) du moteur chinois, nous craignons toujours que les investisseurs ne finissent par être confrontés à une inflation tenace, ce qui limiterait les perspectives des marchés boursiers.

Les récentes faillites de banques, ou leur quasi-faillite dans le cas du Crédit suisse, ont rappelé brutalement que l’industrie bancaire est une activité intrinsèquement risquée, qui transforme des dépôts à court terme et à faible taux d’intérêt en prêts à long terme et à rendement plus élevé. Quelle que soit la solidité des actifs de son bilan (et à cet égard, 2023 ne ressemble en rien à la situation de 2007-2008), si une banque fait l’objet d’un « run », c’est-à-dire qu’une proportion importante des déposants veulent récupérer leur argent, elle ne dispose tout simplement pas des liquidités nécessaires. C’est ce qui justifie l’existence des banques centrales en tant que « prêteurs de dernier ressort ».

Le bilan de la Silicon Valley Bank (SVB) était principalement constitué d’obligations du Trésor américain sûres et à long terme. Ces obligations étant destinées à être conservées jusqu’à leur échéance, en d’autres termes, il n’était pas nécessaire de les déprécier lorsque leur valeur de marché tombait en dessous du prix d’achat. Ainsi, la SVB n’était pas tenue de comptabiliser les pertes théoriques (importantes) sur son portefeuille d’obligations causées par la forte hausse des taux d’intérêt… jusqu’à ce que les ventes forcées destinées à financer les retraits de dépôts rendent ces pertes bien réelles. Mais pourquoi ne pas s’être adressé au prêteur de dernier ressort avec ses obligations, en demandant qu’elles soient échangées contre des liquidités ? Parce que les règles de la Réserve fédérale (Fed) prenaient en compte la valeur de marché – et non la valeur faciale – des actifs financiers donnés en garantie. Une pratique qui a été rapidement adaptée à la suite des événements de mars. La Fed accepte désormais les actifs éligibles à leur valeur nominale, éliminant ainsi le problème de liquidité qui a coulé la SVB et quelques autres banques régionales américaines. Un véritable changement de la donne !

A notre connaissance, la Banque centrale européenne n’a pas encore fait de même, mais nous ne doutons pas qu’elle le fera lorsque cela s’avèrera nécessaire. Pour l’instant, Mme Lagarde affirme que les banques européennes ne sont pas confrontées au même « décalage entre l’actif et le passif » parce que les régulateurs les obligent à acheter des produits dérivés pour couvrir une partie du risque de duration. Il s’agit là d’une affirmation correcte, même si les produits dérivés s’accompagnent d’une autre forme de risque, à savoir le risque de contrepartie.

Ce qui rend également la situation bancaire européenne plus solide qu’aux États-Unis est le fait que la réglementation supplémentaire introduite après la grande crise financière de 2008 a été appliquée, contrairement aux États-Unis où – sous la présidence de Trump – les banques ayant moins de 250 milliards de dollars d’actifs ont été exemptées de la déclaration des ratios de liquidité et n’ont plus été soumises à la surveillance des taux d’intérêt dans le cadre de leurs stress tests.

En ce qui concerne la saga de la SVB, il nous semble injuste de reprocher à la direction d’avoir accumulé des obligations d’État à long terme. Dans un monde où les taux d’intérêt sont négatifs (ou très bas aux US) et où l’argent « facile » afflue vers les dépôts, la banque n’avait guère d’autre choix que d’acheter de telles obligations. On peut également se demander pourquoi les analystes de Wall Street n’ont pas vu venir les difficultés de la SVB. Après tout, la hausse progressive des taux d’intérêt de la Réserve fédérale a commencé il y a plus d’un an et les start-ups de haute technologie (les principaux clients de SVB) retiraient de l’argent de leurs comptes depuis quelques mois, afin de financer leur « besoin de liquidités », ce qui rendait plus difficile la collecte de capitaux. En effet, les fonds de capital-investissement ne sont plus aussi désireux d’injecter des fonds supplémentaires dans ce type de sociétés.

Mais ce qui est peut-être le plus important, c’est que les turbulences qui ont secoué les banques régionales américaines à la mi-mars concernaient des problèmes de liquidité, et non de solvabilité, que la Fed a désormais résolus. Les comparaisons alarmistes avec 2007-2008 ne sont donc pas pertinentes.

Cela dit, nous devons admettre que nous sommes plus perplexes face à l’effondrement rapide du géant bancaire Credit Suisse. On ne peut certainement pas l’attribuer uniquement à la couverture médiatique des commentaires du président de la Saudi National Commercial Bank, l’un des principaux actionnaires du Credit Suisse, qui a déclaré qu’il ne participerait pas à une nouvelle augmentation de capital. Y avait-il peut-être des problèmes de bilan dont seuls les initiés étaient au courant ? Cela arrangeait-il les grands concurrents internationaux de la banque d’investissement de voir un joueur de moins sur le terrain ? Quoi qu’il en soit, là aussi, ce qu’il faut retenir, c’est l’intervention rapide et décisive des autorités suisses pour protéger le système financier. Ce qui devrait définitivement rassurer les déposants sur le fait que les autorités feront « tout ce qu’il faut » pour résoudre les futurs problèmes bancaires – avec ou sans l’aide des banques centrales.

Mais si cette solide protection rend peu probable une correction majeure du marché des actions, du moins à court terme, nous avons encore du mal à voir un grand potentiel de hausse à partir des niveaux actuels. En outre, les actions de haute technologie se comportent désormais comme des dérivés de taux d’intérêt, en ce sens que leur valeur actuelle est principalement constituée de bénéfices futurs probables actualisés. Elles fluctuent donc fortement en fonction des fluctuations actuelles du marché obligataire, auxquelles les entreprises plus traditionnelles semblent plutôt insensibles. D’où notre préférence (actuelle) pour les investissements dans des entreprises établies, qui génèrent des flux de trésorerie jour après jour et dont le risque de refinancement est limité.

Toutefois, l’inflation reste notre préoccupation à long terme – et le facteur limitant pour des niveaux de marché actions nettement plus élevés. Les indices des prix à la consommation sont certes en recul, mais ils restent bien supérieurs aux objectifs des banques centrales. Et une nouvelle poussée inflationniste est tout à fait possible, si la demande chinoise accrue fait grimper les prix de l’énergie et des matières premières ou si, comme c’est le cas actuellement, les producteurs de pétrole (OPEP+) réduisent encore leur production. Entre-temps, les indices d’inflation cœur (excluant les prix de l’énergie et des denrées alimentaires) restent à des niveaux obstinément élevés (5,7 % selon les derniers chiffres pour l’Europe), ce qui suggère que les pressions sur les prix s’étendent au-delà des denrées alimentaires et de l’énergie, notamment aux loyers, aux assurances et aux salaires en particulier. La conviction largement répandue parmi les investisseurs, en particulier en Europe, que l’inflation peut être ramenée avec succès à l’objectif officiel de 2 % au cours des prochains mois est, à notre avis, pour le moins prématurée. Si cette opinion devait changer soudainement, ils ne se satisferaient plus du rendement actuel des obligations à long terme (qui couvre à peine la dépréciation de la valeur de l’argent sur l’ensemble du terme, compte tenu d’un taux d’inflation moyen de 2 %). À ce moment-là, ce ne sera plus seulement la volatilité des taux d’intérêt que les marchés boursiers devront gérer, comme c’est le cas aujourd’hui, mais une réinitialisation à un nouveau niveau de taux d’intérêt – considérablement plus élevé. Le risque de baisse des actions sera alors beaucoup plus important. Nous sommes très attentifs.

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