Le mystère de la disparition de la prime de risque des actions

12 juin 2024

Pascal Blackburne

Et si la hausse actuelle des marchés boursiers, qui a pratiquement effacé la prime de risque usuelle sur les actions, était due à un effet de « vase communiquant » de tout l’argent créé pendant (et après) la crise du Covid ? C’est la thèse récemment avancée dans une étude intéressante de BCA[i]. Elle suggère que les marchés d’actions resteront « fertiles en bulles », en particulier avec les banques centrales qui ont maintenant commencé à réduire leurs taux. Cela dit, nous continuons à mettre en garde contre les attentes extrêmement élevées des analystes en matière de bénéfices. Si les prochains résultats trimestriels devaient être décevants, en particulier pour les valeurs technologiques les plus prisées, l’alternative obligataire pourrait soudain devenir beaucoup plus attrayante pour les investisseurs. La combinaison d’une prime de risque faible, voire inexistante, et de prévisions de bénéfices (exagérément) élevées constitue un cocktail dangereux pour les marchés des actions.

BCA commence par se demander si la politique monétaire est suffisamment restrictive et arrive à la conclusion suivante : d’un point de vue économique, la politique est restrictive (avec des taux à court terme élevés), mais elle reste accommodante en ce qui concerne les marchés financiers (masse monétaire importante). Cela s’explique par la combinaison de trois facteurs : d’importants programmes de relance pendant l’ère Covid, un degré élevé d’inégalité des revenus et des bénéfices records pour les entreprises.

L’ampleur des injections cumulées de liquidités aux États-Unis est en effet impressionnante : Le gouvernement américain a injecté 5,3 trillions de dollars durant la période Covid, un record depuis la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, 1 000 milliards de dollars supplémentaires ont été injectés dans le cadre de programmes de relance de la croissance économique, la banque centrale américaine contribuant également à hauteur de 4 000 milliards de dollars par le biais de l’assouplissement quantitatif. Une grande partie de cet argent est allée aux ménages à revenus faibles et moyens, qui ont une propension/un besoin marginal élevé de consommer, stimulant ainsi la croissance économique globale.

Une fois cette masse d’argent pandémique dépensée par les consommateurs, elle n’a pas disparu du système. En effet, il a « ruisselé » vers les ménages les plus riches (entrepreneurs et investisseurs) sous la forme de distributions de bénéfices des entreprises dans lesquelles ils détiennent une participation. Les bénéfices (les revenus des ménages les plus riches) représentent aujourd’hui une part record du PIB, tandis que les salaires (ce que gagne la classe moyenne) s’approchent d’un niveau historiquement bas.

Riche en capacité de production, les entreprises ne consacrent toutefois pas une grande partie de leurs bénéfices record à de nouveaux investissements, préférant les conserver dans leurs bilans, les utiliser pour racheter des actions et/ou verser des dividendes. Ce qui, en retour, profite principalement aux citoyens situés à l’extrémité supérieure de l’échelle des revenus, qui n’ont guère envie/besoin de dépenser. L’argent se retrouve donc effectivement « coincé dans le système financier » et ne retourne pas dans l’économie réelle.

Pire encore, une bonne partie de ces fonds est consacrée aux investissements dans les valeurs vedettes, en particulier dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la biotechnologie, sans tenir compte des valorisations. Cela fonctionne bien tant que ces sociétés continuent à atteindre ou à dépasser les prévisions de bénéfices, mais tout manquement est (sévèrement) sanctionné. En fait, même pour l’action « moyenne », la réaction des prix aux bénéfices trimestriels est asymétrique. Notre analyse de la réaction médiane des prix sur une journée après la publication des résultats du premier trimestre montre qu’un résultat supérieur aux attentes entraîne une stagnation des prix (-0,2 % pour le S&P 500, +0,8 % pour le Stoxx 600), tandis qu’un résultat inférieur aux attentes provoque une correction de 2 à 2,5 % en moyenne.

Et comme les estimations de croissance des bénéfices du S&P 500 s’établissent désormais à +11 % pour 2024 et +14 % pour 2025 (contre une moyenne de 8 % par an pour la période 2014-2023), les risques de déception sont élevés. D’autant plus que l’année 2023, année de croissance pour l’économie américaine, n’a vu les bénéfices augmenter que de 0,4 % en moyenne.

En définitive, s’il est probablement encore un peu trop tôt pour parler d’un basculement des investissements en actions vers les investissements en obligations, le moment semble venu d’augmenter quelque peu l’exposition aux obligations et de réduire légèrement les positions en actions – ou au moins de protéger la composante en actions des portefeuilles contre une éventuelle correction au moyen d’options de vente. Entre-temps, nous continuons à augmenter progressivement la durée moyenne des obligations dans les portefeuilles chaque fois que les rendements américains et européens à 10 ans atteignent le haut de leur fourchette.

En ce qui concerne le pétrole, qui s’est avéré être l’un des rares actifs décevants en mai, nous prévoyons un prix plutôt stable à l’avenir (70-80 USD par baril). L’importante capacité non utilisée dans les grands pays producteurs du Moyen-Orient, combinée à l’intérêt considérable des grandes compagnies pétrolières pour relancer les projets d’exploration offshore, rend improbable une forte hausse du prix. Et s’il commençait à baisser trop fortement, l’OPEP+ prendrait sans aucun doute des mesures pour limiter la tendance à la baisse.

Cela signifie que le pétrole ne sera plus un facteur important pour les perspectives d’inflation globale, et donc pour les décisions de politique monétaire. Ce qui comptera beaucoup plus, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, c’est l’inflation des salaires. Les marchés du travail restant très tendus, en particulier dans le segment des services, c’est la variable que les investisseurs doivent surveiller de près, car elle constitue l’obstacle à des baisses rapides des taux d’intérêt.

[i] BCA Research Inc, European Investment Strategy, Trickle-Up Economics and Bubbles, Mathieu Savary, Jeremie Peloso & Eugenia Pan, 27.05.2024

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