Un Équilibre Instable

12 septembre 2024

Pascal Blackburne

La volatilité des marchés boursiers s’est accrue en août, reflétant un contexte économique et géopolitique toujours très incertain. L’issue de l’élection présidentielle américaine, qui aura lieu dans moins de deux mois, est particulièrement importante à cet égard. Sur le plan macroéconomique, chaque publication de données est scrutée de près par les marchés financiers dans l’espoir d’obtenir des éclaircissements sur deux questions essentielles : les États-Unis seront-ils en mesure d’éviter une récession et dans quelle mesure la Réserve fédérale réduira-t-elle ses taux d’intérêt ? Une tendance semble toutefois inéluctable, celle de l’augmentation des déficits et de la dette publique. Cette tendance, combinée au ralentissement de l’activité, crée un « équilibre financier et économique instable ».

Les énormes programmes de dépenses publiques mis en place pendant et après la crise de Covid, alors que les taux d’intérêt étaient proches de zéro, n’ont malheureusement pas servi à renforcer les fondamentaux économiques. Plutôt que de remplacer des infrastructures vétustes ou de s’atteler à la transition énergétique envisagée, les dépenses publiques se sont surtout concentrées sur le pouvoir d’achat des ménages. Ainsi, les dépenses de consommation ont été le principal moteur de la croissance économique post-pandémique dans le monde occidental.

Malheureusement, cette frénésie de dépenses semble aujourd’hui sur le point de s’arrêter. Le taux d’épargne des particuliers aux États-Unis a chuté à moins de la moitié de son niveau de 2019. Les taux de défaillance des prêts à la consommation augmentent et les soldes des cartes de crédit s’accumulent. Le fait que le marché du travail américain ait commencé à se refroidir, avec un ralentissement de la croissance des salaires, une semaine de travail plus courte et une hausse du taux de chômage, commence également à peser sur la consommation.

Le tableau est donc sombre : La croissance économique occidentale se dirige vers un nouveau ralentissement (voire une récession), à un moment où les finances publiques sont déjà très tendues. Les ratios d’endettement des gouvernements atteignent des sommets historiques et les charges d’intérêt pèsent de plus en plus sur les budgets, notamment parce que la dette existante doit être refinancée à des taux d’intérêt plus élevés. La dette souveraine n’évoluant que dans une seule direction (à la hausse), la pression s’accentue sur les banques centrales pour qu’elles réduisent à nouveau leurs taux d’intérêt. L’assouplissement monétaire est déjà en cours en Europe et le président Jerome Powell a clairement indiqué, lors du symposium de Jackson Hole en août, que la Réserve fédérale américaine suivrait le mouvement à partir de ce mois-ci. Cela est désormais possible car l’inflation semble s’être suffisamment ralentie.

Du point de vue de l’investissement, les prochaines baisses de taux devraient soutenir les marchés d’actions, à condition que les bénéfices des entreprises restent plus ou moins intacts. Cela n’est toutefois pas évident si l’économie connaît un ralentissement significatif. Les entreprises opérant dans des secteurs qui bénéficieront de dépenses publiques supplémentaires (dans la mesure où elles peuvent être financées) sont logiquement les premiers bénéficiaires potentiels.

Du côté des portefeuilles à revenu fixe, il semble également évident que les obligations (d’État) de plus longue durée réagiront positivement à une politique monétaire plus accommodante. Dans la pratique, cependant, la situation n’est pas aussi tranchée. Tous les gouvernements et toutes les entreprises n’ont pas la même solvabilité à cet égard et il pourrait devenir de plus en plus difficile de trouver des acheteurs pour les nouvelles émissions de dette, même pour le Trésor américain.

Une étude de la Wharton Business School (Philadelphie) a montré que le déficit budgétaire des États-Unis (et donc la dette nationale) continuera d’augmenter fortement au cours de la prochaine décennie, quel que soit le candidat qui entrera à la Maison Blanche. Le déficit additionnel cumulé pour les dix prochaines années est estimé à 1,2-1,7 trillion de dollars sous le régime démocrate (Harris) et à 4,5-5,8 trillions de dollars sous le régime républicain (Trump). La différence entre ces deux projections provient principalement du régime fiscal proposé par chaque parti, Trump prônant une baisse des impôts et les démocrates souhaitant simplement les augmenter.

Pour financer des déficits aussi importants, Wharton pense que la banque centrale devra à nouveau venir à la rescousse en achetant des obligations d’État américaines (assouplissement quantitatif), ce qui ferait remonter l’inflation à 4-5 % d’ici quelques années.

En Europe, il semble que l’on veuille faire la même chose via, d’une part, une limitation de la croissance de la dette nationale et, d’autre part, une plus grande émission d’obligations « européennes ». Selon le récent rapport Draghi, présenté à la Commission européenne, l’Europe a besoin de 750 à 800 milliards d’euros supplémentaires par an pour combler le fossé technologique avec la Chine et les États-Unis, construire sa propre industrie de défense et réaliser la transition énergétique. Cela peut se faire en prélevant de nouveaux impôts ou en contractant des dettes supplémentaires (ou une combinaison des deux).

Quoi qu’il en soit, il est clair que les marchés financiers seront fortement sollicités au cours des prochaines années et qu’un nouveau cycle d' »assouplissement quantitatif » – avec l’inflation qui l’accompagne – se profile à l’horizon.

Pour l’instant, nous ne modifions pas notre allocation d’actifs actuelle, en maintenant la duration moyenne des titres à revenu fixe à un niveau plus élevé (pour bénéficier d’une baisse imminente des taux d’intérêt) et en conservant une approche plutôt « tactique » des marchés d’actions : pas trop d’exposition, une grande diversification et quelques munitions pour répondre à des corrections temporaires, étant donné le régime de volatilité plus élevé.

Dans l’ensemble, nous essayons de rester prudents, conscients que l’équilibre financier/économique instable actuel laisse peu de place aux chocs exogènes.

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