Les gouvernements détiennent désormais les clés du trésor.

5 août 2021

Pascal Blackburne

En juillet, la BCE a suivi – une fois de plus – les traces de la Fed en acceptant une « période transitoire au cours de laquelle l’inflation est modérément supérieure à l’objectif ». En d’autres termes, et peut-être un peu brutalement, les deux banques centrales semblent avoir été pris en otage  par les gouvernements. Elles se sont effectivement engagées à maintenir des taux proches de zéro et à faire tourner la planche à billets à plein régime, de sorte que les politiciens puissent dépenser à leur guise sans avoir à supporter une charge d’intérêts croissante. Malheureusement, cela signifie également que les marchés financiers ont perdu tout point de repère en termes de valorisation. Comment expliquer autrement qu’un fabricant de barbecues puisse viser une entrée en bourse à 90 fois les bénéfices ?

La hausse des valorisations est peut-être plus tangible sur les marchés immobiliers où les investisseurs, à la recherche d’un certain rendement (via le loyer), évincent progressivement les familles « ordinaires » à la recherche d’un logement. Sur certains segments de marché, des maisons sont acquises le jour même de leur mise en vente, souvent sans même que l’acheteur ne visite les lieux. En effet, du point de vue de l’investissement, l’achat d’un bien immobilier est logique tant que le rendement locatif est supérieur à celui des obligations d’État sans risque – qui, contrairement aux actifs réels, n’offrent pas non plus de protection contre l’inflation.

Mais nous ne devons pas ignorer les conséquences sociales de la hausse des prix des logements et des loyers. Couplée avec les autres composantes de l’indice des prix à la consommation, elles se traduisent par une perte de pouvoir d’achat. Les calculs sont impitoyables : avec une inflation qui atteint déjà 5,4 % aux États-Unis, l’épargne perd le même pourcentage de pouvoir d’achat sur une base annuelle, et 30 % si elle est composée sur cinq ans. En Europe, l’inflation est inférieure à 2,2 %, en partie précisément parce que le coût du logement pèse moins lourd dans le panier de consommation.

Pourtant, les politiciens, en particulier ceux de la jeune génération, ne semblent guère perturbés par cette érosion continue du pouvoir d’achat. Leur liste de programmes de dépenses est presque sans fin, y compris bien sûr les très nécessaires investissements dans la transition énergétique. S’appuyer sur la planche à billets pour financer ces dépenses est certainement plus facile (et politiquement plus intéressant) que d’augmenter les impôts. Le fait que la dette publique puisse atteindre des niveaux insoutenables n’est pas une préoccupation immédiate. Jusqu’à ce que la réalité nous rattrape, comme ce fut le cas récemment au Liban, entraînant une forte dépréciation de la monnaie, des comptes bancaires bloqués et une vague de faillites.

Concernant les considérations sociales, c’est précisément ce que le gouvernement chinois a mis en avant en décidant – presque du jour au lendemain – de modifier radicalement le cadre réglementaire des sociétés privées d’éducation (en ligne) (une industrie de 100 milliards de dollars dans ce pays). En effet, au nom de la « prospérité commune », les responsables politiques ont décidé que ces entreprises devaient devenir des organismes à but non lucratif et que les introductions en bourse et les capitaux étrangers ne seraient plus autorisés. Aussi compréhensibles que soient les motifs (le soutien scolaire intensif cause un stress excessif aux enfants et fait peser une charge financière énorme sur leurs parents), cette dernière évolution montre comment, d’un seul coup de crayon gouvernemental, des milliards de valeur actionnariale peuvent être anéantis. Un avant-goût de ce qui pourrait arriver aux entreprises « big tech » si les autorités occidentales commencent à les considérer comme trop puissantes ?

Dans ce contexte de gouvernements très influents et de banques centrales imprimant sans cesse de la monnaie, la sauvegarde du pouvoir d’achat de l’épargne n’est pas une tâche facile. Une diversification maximale reste notre principe directeur, ainsi qu’une attention constante à la valorisation. Aussi populaire que soit devenu le barbecue dans ce monde de Covid « stay-at-home », payer 90x les bénéfices pour un producteur de barbecue nous semble plutôt excessif.

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