Les problèmes bancaires américains ne sont peut-être pas terminés, après tout. Les faillites les plus récentes ne trouvent pas leur racine dans l’accès aux liquidités auprès de la banque centrale, une question qui a été réglée par la Réserve fédérale américaine immédiatement après la faillite de la Silicon Valley Bank, mais plutôt dans la qualité des portefeuilles de prêts de certaines banques. Cette dernière est à son tour liée, entre autres, à la fragilité de certains segments du marché immobilier américain, notamment les espaces commerciaux et les immeubles de bureaux, dont la location est devenue plus difficile depuis la crise du Covid. La chute des prix du pétrole, qui n’est manifestement pas justifiée par des considérations d’offre et de demande physiques, figure également sur notre liste à surveiller. Y aurait-il un aspect géopolitique à cette baisse soudaine et brutale ?
Nous avons peut-être été un peu vite en besogne le mois dernier en écrivant que la décision de la Réserve fédérale (Fed) d’accepter les obligations d’État à leur valeur nominale (plutôt qu’à leur valeur de marché) comme garantie pour l’apport de liquidités avait « changé la donne ». En effet, les déposants continuent de retirer leur argent des banques américaines de taille moyenne pour le transférer vers des établissements plus grands et mieux contrôlés, ou vers des fonds monétaires qui offrent désormais des rendements décents. Confrontées à des retraits de dépôts aussi importants, les banques touchées doivent rapidement vendre une partie de leurs portefeuilles de prêts. En effet, l’actif de leurs bilans est constitué non seulement d’obligations du Trésor américain « sûres » et de longue durée, mais aussi de prêts qui ne sont pas éligibles à la mise en garantie auprès de la Fed ou, au mieux, pour une partie seulement de leur valeur nominale. À cela s’ajoute le problème, surtout pour les banques de taille moyenne cotées en bourse, de la vente à découvert par les fonds spéculatifs, qui entraîne une forte baisse du cours des actions et rend difficile (voir impossible) toute augmentation de capital.
Le fait que les faillites bancaires se soient jusqu’à présent produites principalement aux États-Unis, à l’exception notable du Crédit Suisse, est certainement lié au fait que les normes strictes de Bâle III, établies dans le sillage de la grande crise financière de 2008, semblent moins respectées de ce côté-ci de l’Atlantique. En effet, les banques américaines dont le bilan est inférieur à 250 milliards de dollars – notamment les banques régionales – sont moins contrôlées que ce qui avait été initialement prévu. Une décision prise par l’administration Trump, qui se retourne aujourd’hui amèrement contre elle.
Compte tenu de la forte interconnexion des institutions financières au niveau mondial, les problèmes bancaires pourraient toutefois ne pas rester circonscrits aux États-Unis. Et même en l’absence de nouvelles faillites, il semble clair à ce stade que les conditions de crédit continueront à se resserrer dans le monde entier au cours des prochains trimestres, ce qui n’est pas de bon augure pour la croissance économique.
Malheureusement, cela se produit à un moment où les dépenses de consommation montrent déjà des premiers signes d’affaiblissement, notamment dans les catégories qui étaient particulièrement demandées pendant la crise du Covid (telles que le matériel informatique, le matériel de bricolage ou l’équipement de jardinage, entre autres). Les nouvelles commandes dans l’industrie manufacturière chutent rapidement, comme le montrent les récents indices PMI.
Les inquiétudes liées à la récession sont-elles également à l’origine de la baisse du prix de l’énergie ces dernières semaines, malgré l’annonce surprise de l’OPEP concernant la réduction de la production, ou y a-t-il autre chose ? Si l’on considère la dynamique de l’offre et de la demande sur le marché physique du pétrole, il est en effet difficile de comprendre pourquoi le prix du brut WTI a perdu autant de terrain, tombant sous la barre des 70 USD au cours des premiers jours de mai. La production mondiale continue de lutter pour répondre à la demande, la situation étant devenue si grave que l’OPEP a publié en avril un communiqué de presse intitulé « L’AIE – Agence internationale de l’énergie – devrait être très prudente avant de saper davantage les investissements de l’industrie pétrolière ». Selon le rapport « Banking on Climate Chaos », les prêts à l’industrie pétrolière ont atteint leur maximum en 2019 et ont depuis chuté de 22 %. La demande, quant à elle, résiste dans le monde occidental et rebondit en Chine encore plus fortement que prévu. Quant aux stocks, qu’il s’agisse de pétrole brut ou de produits raffinés, ils restent bien en deçà de leur moyenne quinquennale.
Cela signifie-t-il que la baisse actuelle des prix de l’énergie est davantage un mouvement financier (ventes à découvert) et qui en profitera ?
Un élément important à cet égard est le plafond de 60 USD imposé par les pays du G7 aux exportations de pétrole brut russe – non pas par le biais d’un plafonnement direct des prix, impossible à appliquer, mais indirectement en empêchant les navires transportant du pétrole russe d’obtenir une assurance transport au-delà de ce niveau (les assureurs étant majoritairement des compagnies occidentales). Si le prix du pétrole tombait sous les 60 USD, la Russie serait de nouveau « dans le jeu ». Cela ne modifierait pas l’approvisionnement de la Chine, de l’Inde et de l’Arabie saoudite, les principaux acheteurs actuels de pétrole russe (dans le cas de l’Arabie saoudite, le pétrole doit être raffiné pour un usage domestique, alors que la quasi-totalité de la production du pays est vendue à l’international !). Elle n’aurait pas non plus d’impact sur l’Europe, étant donné que le continent a déjà décidé d’abandonner complètement le pétrole russe, quel qu’en soit le prix.
Le bénéficiaire final pourrait-il être les États-Unis, la baisse des prix de l’énergie étant considérée comme un moyen de supprimer l’avantage concurrentiel dont jouissent actuellement les entreprises chinoises et indiennes, grâce à leur accès au pétrole russe bon marché ? Et aussi un moyen de réduire les marges de raffinage exceptionnelles dont bénéficie actuellement la Chine ? Cette idée peut paraître farfelue mais elle est corroborée par le fait que les réserves stratégiques américaines sont régulièrement vendues pour faire baisser le prix du pétrole. Et l’on sait que les prix de l’énergie ont toujours fait partie du jeu géopolitique.
Le maintien d’un pétrole meilleur marché supprimerait malheureusement une incitation importante à la transition énergétique cruciale. Mais le bon côté des choses serait un recul des indices d’inflation globale et une moindre pression à la hausse sur les salaires. Cela signifierait que les taux d’intérêt pourraient baisser, ce qui contribuerait à soutenir l’économie.
Il va sans dire que nous suivons de près l’évolution des prix de l’énergie, ainsi que les questions bancaires, et que nous nous tenons prêts à procéder à tout ajustement nécessaire de notre allocation d’actifs.