2022 : Annus horribilis pour les investisseurs

12 janvier 2023

Pascal Blackburne

Les portefeuilles équilibrés (benchmarkés) ayant perdu près de 15% en termes nominaux et 10% supplémentaires de pouvoir d’achat en raison de l’inflation, l’année 2022 a été terrible pour les investisseurs. Certains portefeuilles gérés activement se sont mieux comportés, en restant à l’écart des grands noms de la technologie gravement impactés et en maintenant une duration obligataire très faible, mais aucun n’a réussi à terminer l’année en territoire positif. Il n’y avait tout simplement aucun endroit où se cacher l’année dernière. L’année 2023 sera-t-elle meilleure ?

Au tout début de 2022, l’inflation s’élevait déjà à 5% en Europe et à 7% aux États-Unis, bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et son effet dévastateur sur les prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Des années d’impression de monnaie et (au détriment de la dette publique) de subventions aux consommateurs qui n’ont pas pu dépenser normalement pendant la crise du Covid, ont entraîné une demande refoulée massive – qui s’est déchaînée à partir du second semestre 2021.

Dans notre lettre de janvier 2022, nous avions souligné la hausse record des prix à la production, qui se traduirait tôt ou tard par une augmentation des prix à la consommation, et nous nous sommes demandé une fois de plus pourquoi les banques centrales négligeait ce fait et continuaient de considérer l’inflation comme étant seulement temporaire. Nous avons également indiqué que les salaires risquaient d’augmenter, ce qui ancrerait l’inflation dans le système et la rendrait difficile à combattre sans de sérieuses hausses des taux d’intérêt par les banques centrales. D’où notre position selon laquelle les obligations à long terme devaient être évitées et que les actions restaient le meilleur choix, même si elles étaient partiellement protégées par une couverture avec des options.

Dans notre lettre de février, nous restions convaincus que le bon sens l’emporterait dans le conflit russo-ukrainien, la Russie, l’Ukraine, la France et l’Allemagne tentant de relancer l’accord de Minsk de 2014-2015 qui prévoyait une certaine indépendance des régions de l’est de l’Ukraine, Donetsk et Louhansk. Ce processus a toutefois échoué, entraînant une véritable guerre entre la Russie et l’Ukraine. Dans cette même lettre, nous soulignions également la situation difficile du marché pétrolier, ne voyant pas comment les pays de l’OPEP+ pourraient augmenter leur production (ce qu’ils n’ont pas réussi à faire jusqu’à présent) après des années de non-investissement dans de nouvelles capacités de production. Compte tenu du très faible niveau des stocks mondiaux, cela ne pouvait, selon nous, qu’entraîner une hausse des prix du pétrole. Nous avons également mentionné que le Covid gagnait du terrain en Chine, ce qui signifiait de nouvelles perturbations potentielles dans la chaîne d’approvisionnement. Et nous ne comprenions toujours pas pourquoi la politique de la Banque centrale européenne négligeait la menace inflationniste et maintenait les taux d’intérêt en dessous de zéro.

Dans notre lettre de mars, nous avons exprimé notre déception (pour ne pas dire plus) quant au fait que la Russie ait finalement envahi l’Ukraine, ce qui a entraîné de nouvelles perturbations de la chaîne d’approvisionnement et une hausse des prix de l’énergie. Les banques centrales se sont toutefois réveillées, abandonnant leur discours selon lequel l’inflation n’était qu’un phénomène temporaire lié au Covid-19, et les marchés obligataires ont commencé à baisser en prévision d’une hausse des taux d’intérêt. Les marchés d’actions sont restés solides, constituant la seule alternative d’investissement aux obligations, mais nous avons prévenu que leurs valorisations étaient élevées en termes historiques, ce qui signifie qu’une correction sérieuse ne pouvait être exclue.

En avril, plus d’un mois après le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie, et alors qu’aucune issue favorable n’était en vue, nous écrivions que l’invasion de l’Ukraine par la Russie posait déjà de sérieux problèmes à l’économie mondiale. En termes de dynamique du marché du pétrole et du gaz bien sûr, mais aussi d’approvisionnement – vital pour certains pays – en blé et autres céréales. Et la résurgence du Covid-19 en Chine ne promettait que d’ajouter aux pressions inflationnistes, en arrêtant partiellement l’usine des biens de consommation du monde. Pire, pensions-nous, un scénario de stagflation ne pouvait plus être exclu. Pour les marchés d’actions, cependant, nous étions convaincus que le moment de vérité ne viendrait que lorsque, ou si, les taux d’intérêt remonteraient brusquement.

Une récession en Europe, et peut-être aussi aux États-Unis (bien que leur économie semble moins vulnérable), pèserait à son tour sur les bénéfices des entreprises. Selon nous, ce risque n’a pas été pris en compte par les marchés d’actions, même si les multiples de valorisation avaient déjà chuté par rapport à leurs sommets. Si nous avions un conseil à donner sur les actions (au-delà de l’ajustement de l’exposition hors de l’Europe vers les marchés américains et japonais moins vulnérables), ce serait d’abandonner l’approche « achat sur faiblesse » et de commencer à adopter une stratégie « vente sur rebond ».

Dans notre lettre du mois de mai, nous avons répété une fois de plus que l’inflation était là pour rester, car nous avons vu l’inflation sous-jacente s’élever progressivement bien au-dessus de l’objectif de 2% des banques centrales, ce qui nous a laissé penser que la politique monétaire aux États-Unis et en Europe resterait sur la voie du resserrement. Bien que la Banque centrale européenne (BCE) n’ait pas encore signalé son intention de relever son taux directeur, le fait que l’Allemagne allait sérieusement augmenter ses émissions obligataires alors même que la BCE réduisait son programme d’achat d’actifs était une recette pour des taux obligataires plus élevés sur toute la courbe des taux. Il était donc primordial, selon nous, de conserver une duration courte pour les obligations.

Dans notre lettre de juin, nous n’avons pu que constater (et avec tristesse) que l’inflation de base européenne atteignait 3,8 %. Ce chiffre étant bien supérieur à son objectif, la BCE serait bientôt contrainte de suivre les traces de la Réserve fédérale en relevant les taux d’intérêt. Les semaines précédentes avaient montré que même une hausse modérée des taux pouvait infliger des dommages substantiels aux marchés boursiers, les « chéries » déficitaires de la technologie étant particulièrement touchées. Si l’on exclut les plus grandes entreprises (rentables), le secteur de la haute technologie avait déjà perdu la moitié de sa valeur – et certains noms encore plus. En substance, l’anxiété avait fait son retour sur les marchés financiers. La question de savoir si elle allait se transformer en véritable peur dépendait de l’évolution de la situation, tant d’un point de vue géopolitique que macroéconomique. À ce moment-là, nous avons choisi de nous en tenir à une vision plus optimiste, tout en nous concentrant sur des sociétés génératrices de trésorerie raisonnablement valorisées et en cherchant à ajouter des protections optionnelles en cas de repli de la volatilité. Mais, d’un autre côté, si la guerre continuait de faire rage et que les pressions inflationnistes s’intensifiaient, les banques centrales pourraient devenir très agressives. Si les poches des investisseurs privés restaient alors fermées, une récession économique serait inévitable et les marchés financiers pourraient subir une sévère correction.

En juillet, cependant, nous avons remarqué que le consommateur était toujours présent, dépensant comme s’il n’y avait pas de lendemain. Les infrastructures du tourisme, limitées par l’offre, étaient prises d’assaut, notamment les compagnies aériennes et les aéroports. L’affluence dans les restaurants était telle que de sérieuses hausses de prix étaient appliquées – il est vrai aussi pour couvrir l’inflation alimentaire due à l’Ukraine. La demande accumulée au cours des deux dernières années de restriction se répand rapidement et les dépenses sont également transférées du monde virtuel vers les véritables magasins « de briques et de mortier ».

Pourtant, nous pensions que cette demande prendrait fin un jour ou l’autre, et de façon brutale. Le risque serait alors que les récents investissements réalisés dans des capacités de production supplémentaires s’avèrent inutiles. Les prises de commandes pourraient baisser sensiblement, les usines nouvellement construites resteraient vides et les finances des entreprises en prendraient un double coup.

En août, nous sommes revenus sur le rallye des actions de juillet (un gain de 7,8% en USD et de 11% en EUR). Ce rallye, difficile à comprendre d’un point de vue fondamental, compte tenu des nombreux problèmes auxquels le monde est confronté, a probablement simplement reflété le fait que certains actifs financiers étaient devenus bon marché après les performances désastreuses du premier semestre 2022. Selon nous, le mouvement de juillet ne devait toutefois être considéré que comme une correction à la hausse, et nous avons invité les investisseurs à ne pas se précipiter.

Dans notre lettre de septembre, nous soulignions le niveau élevé des prix de l’énergie, synonyme de pressions inflationnistes persistantes, d’un nouveau resserrement de la politique monétaire et d’une tendance à la baisse des bénéfices des entreprises : une combinaison peu propice aux marchés financiers. Pourtant, aucune grande vague de vente des petits épargnants n’avait encore eu lieu, de nombreux investisseurs fonctionnant toujours sur le mode « acheter sur faiblesse ».

Pour tenter de limiter l’impact sur les consommateurs et le risque d’agitation sociale qui en découle, les gouvernements des pays européens fortement dépendants du gaz ont mis en place des programmes de subventions. Malheureusement, à l’instar des chèques Covid, ces programmes ont eu tendance à être indiscriminés, plutôt que de se concentrer sur les segments de la population qui avaient le plus besoin d’un soutien financier. Il s’agissait là encore, au détriment de la dette publique, d’une option gratuite pour les consommateurs.

Dans ces circonstances, il était difficile de ne pas s’attendre à ce que les marchés financiers restent sous pression. La forme de « crash en saucisson » que nous connaissions depuis un certain temps allait probablement se poursuivre à notre avis, avec une alternance de chutes quotidiennes (brutales) et de rebonds quotidiens (moins importants). Vendre les rebonds des marchés d’actions nous semblait toujours être la meilleure stratégie.

Dans notre lettre d’octobre, nous mettions en garde contre un possible « point de bascule ». Alors que les banques centrales avaient (enfin) pris la mesure du risque inflationniste et annoncé la poursuite des hausses de taux jusqu’à ce que le contrôle des indices de prix soit retrouvé, les rendements nominaux des obligations remontaient également rapidement. Ce qui les rapprochait du niveau auquel les investisseurs pourraient être tentés de faire le « grand saut » des actions vers les obligations, avec pour conséquence une chute potentiellement importante des marchés boursiers. Cela ne s’est pas encore produit, mais il arrivera un moment où les rendements nominaux seront suffisamment élevés pour attirer à nouveau les investisseurs sur les marchés obligataires. Le point de bascule précis est évidemment difficile à prévoir, et probablement plus bas en Europe qu’aux États-Unis. Où se situerait votre point de bascule ? Pensez-y.

En novembre, nous avons indiqué que certains secteurs du marché obligataire devenaient certainement attrayants. Et nous ne parlions pas des obligations d’État américaines, dont les rendements (certes élevés) perdent une partie de leur attrait lorsqu’on tient compte du risque de change du dollar. Nous n’avons pas non plus envisagé les obligations souveraines européennes, la BCE étant en retard sur la courbe et la situation de l’inflation étant particulièrement inquiétante sur notre continent. Non, c’est l’exposition au crédit européen qui a retenu notre attention, mais de manière sélective et en se concentrant sur les émetteurs de première qualité aux bilans solides.

Après la reprise des marchés actions en octobre et novembre, nous sommes redevenus plus prudents, comme indiqué dans notre lettre de décembre, préférant terminer 2022 et se diriger vers 2023 avec des protections d’options. Un moyen de conserver une exposition à la hausse (contre le paiement d’une prime), tout en limitant les pertes en cas de nouvelle baisse.

Avec la réouverture de la Chine, l’économie locale pourrait prendre de la vitesse au cours des prochains mois, ce qui serait bienvenu dans un contexte de ralentissement global (voire bientôt de récession). Mais si l’économie chinoise retrouve sa vitesse de croisière au cours des prochains trimestres, les prix de l’énergie (pétrole et gaz) risquent d’être orientés à la hausse, ce qui va à l’encontre de l’anticipation généralisée des investisseurs d’un recul de l’inflation – et donc d’un pivot des banques centrales. En effet, nous pensons que le marché est trop optimiste sur ce point, et pas seulement en raison des perspectives de l’offre et de la demande de pétrole. Les pressions à la hausse sur les salaires commencent tout juste à se manifester, sous l’effet des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, bien sûr, mais aussi en raison de pénuries de main-d’œuvre encore importantes.

Selon nous, les banques centrales continueront à relever les taux d’intérêt (coûte que coûte) jusqu’à ce qu’elles aient la certitude que l’inflation est de nouveau maîtrisée. Ce qui suggère malheureusement que 2023 pourrait à nouveau ne pas être une année facile pour les investisseurs, pour un certain nombre de raisons.

Nous craignons notamment que la majeure partie des bénéfices des entreprises ne déçoive clairement les attentes encore élevées des analystes, et que de nombreuses « sociétés de croissance » nouvellement créées fassent faillite en raison du manque d’accès aux capitaux.

Les niveaux historiquement élevés de la dette publique ne permettront plus non plus de nouvelles séries de subventions aux consommateurs; cette manne de dépenses, aux dépens des générations futures, semble définitivement terminée maintenant que le coût de la dette est repassé en territoire positif.

Les banques centrales seront de plus en plus obligées de se plier aux forces du marché financier. Il ne leur sera pas possible d’augmenter les taux d’intérêt et de continuer à acheter des obligations pour maintenir les taux d’intérêt artificiellement bas. Leurs bilans, qui ont d’ailleurs déjà atteint des niveaux sans précédent en raison de l’impression incessante de monnaie ces dernières années, devront être réduits. Les pertes que les différentes banques centrales subissent sur leurs portefeuilles d’obligations atteignent déjà des sommets historiques (la Banque nationale suisse a fait état d’une perte de 132 milliards de francs suisses pour 2022, soit six fois plus que la pire perte enregistrée au cours de ses 114 années d’existence). Il y a donc de bonnes chances pour que 2023 voit un retour progressif à un marché obligataire plus normal, avec des primes de risque appropriées pour les différents émetteurs. Cela créera certainement des opportunités pour les investisseurs patients, mais cela augmente également la probabilité du « grand changement », de l’abandon des actions au profit des obligations, dont nous parlons depuis un certain temps déjà. La perspective d’une baisse (probable) des bénéfices des entreprises dans un climat de hausse des taux d’intérêt nous fait craindre qu’une deuxième année consécutive de baisse du marché des actions soit tout à fait possible en 2023. Bien sûr, il y aura toujours des exceptions à cette tendance générale – comme ce fut le cas l’année dernière pour les valeurs pétrolières et maritimes, soutenant bien la performance de nos portefeuilles modèles.

Dans l’ensemble, prudence et sélectivité extrêmes restent nécessaires et, à moins d’une solution rapide au conflit entre la Russie et l’Ukraine, 2023 s’annonce comme une autre année compliquée.

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