Pourquoi un tel optimisme ?

10 février 2023

Pascal Blackburne

Les marchés financiers ont certainement commencé l’année 2023 sur une note positive, sans tenir compte du resserrement continu de la politique monétaire par les banques centrales et des perspectives généralement plus faibles des bénéfices des entreprises. Ce nouvel optimisme des investisseurs semble s’expliquer par la décélération de l’inflation (au point, espère-t-on, de permettre des baisses de taux plus tard dans l’année), la résistance des économies occidentales et la réouverture de la Chine. Des facteurs techniques, notamment les afflux de début d’année dans les fonds de pension et les opérations de couverture des ventes à découvert de certains fonds, ont probablement aussi joué un rôle dans l’impressionnant rallye de janvier. Mais la tendance à la hausse est-elle durable ?

Sur le front de l’inflation, il est vrai que les données les plus récents font état d’un ralentissement de la hausse des prix des deux côtés de l’Atlantique – de quoi réjouir les investisseurs. Mais il convient de rappeler qu’un taux d’inflation plus faible n’équivaut pas à une baisse des prix, ceux-ci augmentent simplement moins vite. En effet, du point de vue d’un ménage ordinaire, l’augmentation des prix de nombreux biens de consommation de base qui s’est produite au cours des deux dernières années (d’environ 15 % en moyenne) ne sera pas inversée, même si le taux d’inflation devait retomber à zéro. De plus, comme la croissance des salaires au cours de la même période n’a généralement pas suivi le rythme de l’inflation des prix, on peut s’attendre à de nouvelles demandes d’augmentation des salaires (en particulier si les gouvernements devaient supprimer progressivement leurs diverses subventions aux ménages dans le cadre de coupes budgétaires). Si les employeurs doivent payer des salaires plus élevés et qu’ils répercutent (en partie ou en totalité) ces coûts sur les consommateurs, nous risquons d’entrer dans la redoutable spirale salaires-prix. C’est précisément ce que les banques centrales veulent éviter, leur mission étant d’assurer la stabilité des prix, et la raison pour laquelle elles insistent tant sur leur rhétorique de « taux d’intérêt plus élevés et plus longs ».

Dans le même temps, ces autorités monétaires ne veulent pas tuer les économies avec des taux d’intérêt répressifs. Dans leurs commentaires, elles insistent donc également sur le fait qu’elles surveillent de près les données macroéconomiques et s’efforcent d’assurer un atterrissage en douceur de l’économie. La question de savoir si un tel résultat peut être atteint est très discutable à notre avis, mais le marché veut actuellement y croire.

Et tout cela avant même de tenir compte du conflit en Ukraine. À ce sujet, nous devons souligner combien les chances d’une issue positive semblent actuellement faibles. Selon les rapports des services de renseignement britanniques, la situation empire de jour en jour, la Russie renforçant ses troupes à l’est et au nord de l’Ukraine et les États-Unis et l’Union européenne fournissant des armes toujours plus puissantes à l’armée ukrainienne. À ce jour, les mentalités russe et ukrainienne quant à ce qui s’est passé – et devrait se passer – dans la région du Donbass semblent irréconciliables. La Russie estime que, suite à l’invasion de la Crimée en 2014, le gouvernement ukrainien a adopté une position excessivement dure à l’égard des personnes d’origine russe vivant dans le Donbass, notamment en imposant l’ukrainien comme langue officielle et en ne respectant généralement pas le processus d’autonomie convenu lors des accords de Minsk de 2014-2015. Après avoir distribué massivement des passeports russes dans cette région au cours des dernières années, la Russie considère aujourd’hui qu’elle ne fait que défendre sa propre population. La vision ukrainienne – et plus généralement celle des pays occidentaux – du conflit est évidemment diamétralement opposée : La Russie n’avait tout simplement pas le droit de franchir les frontières de l’Ukraine il y a douze mois. Malheureusement, tout cela n’est pas de bon augure.

Pour en revenir aux marchés financiers, la situation actuelle peut donc être résumée comme suit : les investisseurs croient les banques centrales lorsqu’elles prétendent (espèrent ?) que l’inflation peut être éradiquée sans infliger de graves dommages à l’économie, et ignorent le risque d’une spirale salaires/prix sur des marchés du travail qui restent très tendus, notamment aux États-Unis, ainsi que la détérioration de la situation sur le front ukrainien.

Les entreprises profitent, à juste titre, de l’optimisme des investisseurs pour lever des fonds, le mois de janvier ayant été marqué par un nombre record d’émissions obligataires sur le marché européen. Une prolifération de dettes d’entreprises, nouvelles ou renouvelées, qui ne font que s’ajouter à une dette publique déjà très élevée… Un jour, il faudra les rembourser, ou du moins les réduire.

Ainsi, tout en reconnaissant que la reprise du marché pourrait se poursuivre pendant un certain temps, nous pensons qu’il vaut mieux ne pas sauter dans le train. Un retour à la réalité s’impose à un moment ou à un autre, ce qui signifie qu’une approche prudente et sélective dans l’allocation du portefeuille, y compris des protections contre le risque de baisse, reste notre positionnement préféré.

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