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10 mars 2023

Pascal Blackburne

Les marchés boursiers ont été moroses en février, malgré un flux de nouvelles largement favorables : la reprise chinoise, des indicateurs économiques américains et européens qui suggèrent que la récession sera évitée, de bons résultats et des perspectives favorables des entreprises, une stabilisation de l’inflation globale… Alors que le risque d’une correction sévère semble avoir diminué, cette absence de réaction positive face à un environnement meilleur indique également un potentiel de hausse limité pour les actions – notamment en raison de valorisations encore élevées. Du point de vue des portefeuilles, les obligations d’entreprise de qualité à duration courte ou moyenne continuent à notre avis d’offrir un rendement intéressant.

En ce qui concerne les bonnes nouvelles de février, commençons par la Chine. Les données récentes, depuis le Nouvel An chinois, suggèrent que la croissance de l’économie domestique s’accélère, pour atteindre l’objectif de 5 % fixé par le gouvernement. Le fait que le Covid ne fasse plus la une des journaux suggère également que la situation en matière de santé publique est de nouveau sous contrôle. Une Chine plus forte sert certainement à soutenir l’économie mondiale, mais peut-être pas tant les perspectives inflationnistes, étant donné la plus grande demande de matières premières qu’elle devrait entraîner.

Dans les pays occidentaux, la croissance évolue dans la direction opposée mais, et c’est là la bonne nouvelle de ces dernières semaines, il semble maintenant qu’une récession sévère sera évitée. Grâce aux différents programmes de relance gouvernementaux, les indicateurs économiques avancés pointent en effet vers une croissance lente mais toujours positive. Ce scénario est corroboré par les bénéfices des entreprises du 4e trimestre 2022 (qui ont généralement répondu aux attentes) et, plus important encore, par les prévisions des entreprises.

En ce qui concerne les taux d’intérêt, nous pensons que leur évolution reste le plus grand risque pour les marchés des actions. En février, les traders obligataires ont aligné leurs attentes sur les taux terminaux des banques centrales et ont pleinement reconnu que d’autres hausses de taux sont encore prévues pour 2023. La courbe des taux reste inversée (les taux d’intérêt à court terme sont plus élevés que les taux à long terme) des deux côtés de l’Atlantique, un signe qui indique généralement une récession imminente. C’est un élément à surveiller, car les investisseurs ne sont pas rémunérés pour conserver leur argent plus longtemps.

Enfin, en ce qui concerne l’inflation, les derniers chiffres, certes encore élevées, semblent se stabiliser. En fait, si les prix de l’énergie restent stables dans un avenir proche, l’inflation devrait reculer en raison des effets de base. Bien entendu, la douceur de l’hiver a joué un rôle important (nous devrions même dire chanceux) dans cette équation. Non seulement l’Europe a évité les pénuries tant redoutées, mais elle n’a pas non plus été obligée de puiser trop profondément dans ses réserves d’énergie, ce qui signifie qu’il pourrait même être possible de passer un autre hiver sans trop de problèmes.

Le problème qui subsiste en ce qui concerne l’inflation (autre que l’augmentation potentielle de la demande chinoise de matières premières mentionnée plus haut) est la pénurie de main-d’œuvre. Le fait que les marchés du travail soient exceptionnellement tendus à ce stade du cycle économique constitue à la fois une contrainte pour la croissance future (sans main-d’œuvre suffisante, une économie ne peut tout simplement pas réaliser sa croissance potentielle) et une épine dans le pied des banquiers centraux (ramener l’inflation à l’objectif de 2 % s’avérera difficile). Ainsi, les taux d’intérêt pourraient bien rester à leur niveau actuel, voire à un niveau plus élevé, pendant une longue période, anéantissant les espoirs de début d’année d’un pivot déjà pour la fin 2023.

En l’absence d’une hausse importante des taux longs, qui pourrait déclencher le « big shift » souvent évoqué des actions vers les obligations, les marchés boursiers semblent aujourd’hui en mesure de s’en tirer à bon compte. Cela signifie que le risque de correction sévère est moindre que ce que nous craignions il y a quelques semaines encore, mais que le potentiel de hausse est également limité. Ce n’est donc pas, selon nous, le moment d’investir d’avoir une trop forte exposition aux actifs risqués. Nous continuons plutôt à préconiser une approche sélective et, en particulier, nous voyons des opportunités d’investissement dans les obligations d’entreprises de qualité à 3 ou 5 ans. Leur durée relativement courte les protège du risque de hausse des taux longs : alors que les taux européens à 10 ans sont toujours inférieurs d’environ 1,5 % à leur pic d’avant la grande crise financière de 2008, le taux des obligations d’entreprise à 5 ans se situe désormais juste en dessous de ce niveau et c’est à 3 ans que la hausse a été la plus forte (3,6 % aujourd’hui contre 3 % en moyenne en 2005-2006). En outre, le fait de se concentrer sur des noms solides au sein de l’espace « investment grade » permet de limiter le risque de refinancement. En effet, de nombreux émetteurs à haut rendement seront confrontés à un mur d’échéance en 2024, ce qui pourrait s’avérer brutal dans un contexte de resserrement monétaire.

Passant de l’économie à la géopolitique, un dernier mot sur le conflit en Ukraine. Là aussi, et peut-être à l’encontre de la perception généralisée, nous voyons un potentiel de nouvelles positives au cours des semaines ou des mois à venir. En effet, la Chine est finalement entrée dans l’arène, avec l’objectif de forcer une forme de cessez-le-feu. Pourquoi maintenant ? Un an après le début d’un conflit que la Russie avait initialement prévu comme rapide, les autorités chinoises semblent vouloir éviter une déstabilisation du régime de Poutine si l’Ukraine parvenait – avec l’aide de l’Occident – à repousser l’armée russe. Car qui sait ce qui remplacerait Poutine ? Un grand vide, l’armée, un gouvernement d’opposition dirigé par Navalny, des régions en quête d’indépendance…

La Russie étant actuellement dépendante des exportations de pétrole vers la Chine (et l’Inde) et ayant également besoin de l’Empire du Milieu pour ses importations de technologies depuis que l’Occident l’en a écartée par diverses sanctions, la Chine a le pouvoir de « suggérer » au président Poutine la manière d’agir. Elle est en fait le seul gouvernement au monde à disposer d’un tel pouvoir. La nouvelle selon laquelle elle a « demandé » à Poutine de ne pas utiliser, ni même menacer d’utiliser, des armes nucléaires est déjà très positive. Si elle parvient à amener la Russie et l’Ukraine à une solution négociée, les marchés financiers (entre autres) pousseront un énorme soupir de soulagement. À noter qu’il semble que la Chine ait également parlé au Belarus (un partenaire militaire clé de la Russie), décourageant l’envoi de troupes en Ukraine par crainte d’une nouvelle vague de protestations révolutionnaires qui pourraient s’avérer difficiles à réprimer cette fois-ci, le « frère » russe n’étant pas en mesure d’intervenir pour apporter son aide. En définitive, le conflit ukrainien en est arrivé à un point où il va falloir lâcher du lest. Espérons que la Chine sera suffisamment persuasive pour qu’une forme de cessez-le-feu puisse être trouvée. Après tout, la poursuite de l’escalade pourrait tôt ou tard déboucher sur un désastre humain et financier mondial !

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