Vers un nouvel ordre mondial (économique)

14 mars 2025

Pascal Blackburne

Au cours des dernières semaines, la nouvelle administration américaine a fait feu de tout bois (et de manière plutôt irréfléchie), avec des conséquences qui pourraient toutefois s’avérer très différentes de celles escomptées. Et si « l’Amérique d’abord » devenait « l’Amérique uniquement », alors que le pays se retrouve de plus en plus isolé sur la scène commerciale mondiale. Et si une nouvelle version de l’Union européenne émergeait de cette période chaotique, avec la défense comme fondement ? Et si la Chine parvenait enfin à transformer son économie dépendante des exportations en une économie alimentée par la consommation locale ?

La position du président Trump sur la guerre en Ukraine a certainement incité les décideurs politiques européens à agir. Sans surprise, quatre pays ont pris les devants : le Royaume-Uni et la France, qui sont les deux seuls pays européens à posséder l’arme nucléaire, la Pologne, en raison de son important contingent de soldats et d’équipements militaires, et l’Allemagne, qui est le pays au plus fort potentiel financier (surtout maintenant qu’un nouveau chancelier est sur le point d’entrer en fonction et que le frein à l’endettement semble être levé, du moins pour les investissements dans la défense). L’Italie tente de rejoindre le groupe, un peu en retrait il est vrai et probablement en raison de l’accès « privilégié » de Giorgia Meloni à Donald Trump et Elon Musk (ce qui pourrait permettre d’éviter des décisions américaines hâtives et à court-terme, comme celle de couper l’accès de l’Ukraine aux satellites Starlink).

Sans vouloir paraître trop dramatique, nous pourrions bien assister à la fin de l’Union européenne telle qu’elle existe depuis de nombreuses décennies. En effet, aligner les positions de tous les États membres actuels dans un contexte géopolitique en évolution rapide s’avère une tâche de plus en plus difficile, voire presque impossible. La gouvernance européenne pourrait bien évoluer rapidement, les pays susmentionnés menant la danse et d’autres pays « non essentiels » étant invités à prendre le train en marche avec eux. Dans un premier temps, cette « nouvelle » construction européenne tournerait bien sûr autour de la défense, mais au sens large, ce qui impliquerait également des dépenses substantielles pour les infrastructures (obsolètes). Des routes rénovées, de nouveaux ponts, des chemins de fer qui fonctionnent bien et des ports facilement accessibles, par exemple, sont essentiels au transport rapide du matériel militaire.

À supposer que le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et la Pologne parviennent à mettre en place une telle initiative de défense commune, cela ouvrirait non seulement la voie à une économie européenne plus efficace et autosuffisante, mais permettrait également au Royaume-Uni d’inverser les effets isolationnistes (et économiquement négatifs) du Brexit. D’un point de vue microéconomique, cela pourrait donner une forte impulsion à l’industrie locale, alors que l’Europe se targue d’avoir une main-d’œuvre nombreuse et bien qualifiée, des multinationales solides et des universités de premier plan.

La Chine, qui vient de tenir son Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois, forum au cours duquel le Parti communiste présente ses projets pour l’année à venir, s’adapte également rapidement. De nouvelles mesures de relance ont été proposées, afin d’augmenter le PIB chinois de 5 % en 2025 (ainsi qu’en 2026 et 2027). Il est notamment prévu d’augmenter les pensions, d’améliorer le système de sécurité sociale et d’accorder des subventions aux acheteurs de voitures électriques. De toute évidence, la politique tarifaire agressive de l’administration Trump accélère les efforts des autorités chinoises pour rendre leur économie moins dépendante des exportations vers les États-Unis (et, ce qui reste à voir, vers l’UE).

En bref, l’Europe et la Chine s’orientent davantage vers leur marché intérieur et tentent de conclure des accords commerciaux avec des blocs économiques « non influencés par les États-Unis » (tels que l’Inde, l’Amérique du Sud et l’Afrique du Sud) afin de protéger leurs importations et leurs exportations. Si les États-Unis continuent à imposer des droits de douane sur tout et n’importe quoi, ils risquent de se retrouver isolés à long terme. En tout état de cause, une telle politique aura un impact négatif sur le commerce mondial, en plus de relancer l’inflation (tout devient plus cher en raison de la disparition de l’avantage comparatif en termes de coûts). Le ralentissement de la croissance et l’augmentation de l’inflation ne sont certainement pas de bons ingrédients pour les bénéfices futurs des entreprises.

En définitive, en ce qui concerne le positionnement des portefeuilles d’investissement, ce n’est certainement pas le moment d’être « courageux ». La toile de fond mondiale est extrêmement complexe et le risque d’une spirale incontrôlable reste réel. C’est pourquoi la diversification et la protection du capital doivent rester au centre des préoccupations. Pour être honnête, nous n’avons que deux convictions fortes à ce stade. Tout d’abord, comme nous l’avons expliqué en détail dans cette lettre, d’importantes dépenses militaires et d’infrastructure sont à prévoir, en particulier en Europe. Deuxièmement, et corollairement, la dette souveraine augmentera de manière significative, rendant finalement le coût de la dette difficilement soutenable pour de nombreux pays dans le cadre de politiques fiscales inchangées.

Traduit en classes d’actifs, cela signifie qu’il faut rechercher des actions valorisées de manière attractive dans le secteur industriel européen (les cours des actions des sociétés actives dans la production d’équipements militaires ont déjà augmenté (trop) fortement, en prévision des importantes commandes publiques qu’elles peuvent attendre) et adopter une position très prudente à l’égard des obligations d’État à long terme. Les investisseurs à la recherche d’une exposition à des investissements à revenus fixes ont tout intérêt à se tourner vers les obligations émises par de grandes entreprises multinationales dont les bilans sont sains.

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