En ces derniers jours de 2024, une forme de révolution se déroule sous nos yeux – pas seulement aux États-Unis ou au Moyen-Orient. La France et l’Allemagne, l’axe dominant de l’Europe, sont en grande difficulté. La menace qui pèse sur la démocratie de ce côté-ci de l’Atlantique est loin d’être aussi prononcée qu’aux États-Unis, mais des phénomènes inquiétants se préparent, notamment en termes de contrôle des leviers politiques et médiatiques. Le protectionnisme, quant à lui, est devenu bien plus qu’une simple rhétorique : la situation du commerce mondial évolue rapidement, le secteur du transport maritime en étant un indicateur avancé intéressant.
En Allemagne, l’effondrement du gouvernement de coalition a conduit à la programmation d’élections fédérales anticipées le 23 février 2025, qui devraient entraîner un net glissement vers la droite. En effet, les sondages d’opinion montrent que le soutien aux trois partis au pouvoir a diminué ces dernières années, tandis que l’opposition actuelle CDU/CSU (parti de centre-droit de l’Union chrétienne-démocrate et son parti frère de l’Union chrétienne-sociale) est dans le camp des vainqueurs et que l’AFD (Alternative pour l’Allemagne, d’extrême-droite) semble également avoir une forte avance. En France, l’idée même d’un gouvernement de coalition s’avère problématique. Le gouvernement formé par Michel Barnier n’a duré que trois mois et a été rejeté par les deux extrêmes du Parlement. Pour le président Macron, il ne sera pas facile de nommer un nouveau premier ministre bénéficiant d’un soutien suffisant pour faire passer un budget (discipliné) pour 2025.
Pendant ce temps, la première ministre italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni, a non seulement réussi à stabiliser le paysage politique – et économique – de son pays, mais elle joue aussi de plus en plus un rôle de leader en Europe. Aux côtés d’un certain Viktor Orbán en Hongrie, dont les idées et les méthodes extrêmes ressemblent beaucoup à celles du président élu des États-Unis.
Ce glissement à droite dans le monde occidental s’accompagne simultanément d’une attitude de plus en plus protectionniste. Les jours d’une chaîne de production mondiale décentralisée et optimisée sont comptés. Aujourd’hui, il s’agit de « fabriquer » et d' »acheter » chez soi. Dans l’industrie chimique, les entreprises européennes s’affairent à installer des usines aux États-Unis dans le but d’éviter les tarifs douaniers punitifs de Trump et de profiter des ressources énergétiques beaucoup moins chères disponibles dans ce pays (le gaz en particulier). Il en va de même pour l’industrie automobile, actuellement très déprimée, et pour une multitude d’autres secteurs manufacturiers.
À terme, cela signifiera beaucoup moins de transport sur les océans du monde. Il n’est pas étonnant que les cours des actions des compagnies maritimes (autres que les paquebots de croisière) aient chuté de 30 à 40 % au cours des six mois qui ont suivi la nomination de Donald Trump en tant que candidat républicain à la présidence. Cela dit, une analyse plus approfondie des différents segments de l’industrie du transport maritime, en termes de croissance prévue de la flotte par rapport à la demande, révèle une image très différenciée.
Les vraquiers, c’est-à-dire les navires qui transportent des marchandises en vrac non emballées (comme les céréales, le charbon ou toutes sortes de minerais), font partie des « bons » segments. Les minerais et les céréales devront toujours être transportés parce que leurs gisements et leurs sites de production, respectivement, sont éloignés des lieux où ils sont nécessaires. Néanmoins, une longue période de taux de fret raisonnablement élevés a conduit à la commande de nombreux nouveaux navires. Pour l’ensemble du segment du vrac, nous estimons que la capacité nette augmentera de 3 % l’année prochaine, puis de 10 % en 2026. Étant donné que la demande mondiale attendue ne correspondra certainement pas à cette croissance, il est très peu probable que les taux de fret restent aux niveaux actuels. Les bénéfices futurs des compagnies de transport maritime en vrac seront donc sous pression. Le segment des petits vraquiers utilisés pour le cabotage constitue toutefois une exception. La tendance au transfert d’une partie du trafic de marchandises de la route vers l’eau joue en leur faveur.
Il n’est pas surprenant que les perspectives pour les porte-conteneurs et surtout les transporteurs de voitures soient beaucoup plus sombres. Dans ce dernier cas, le carnet de commandes indique une croissance de la flotte de 11,6 % en 2025 et de 22,5 % en 2026. Déduction faite des démolitions prévues, ces projections s’élèvent encore à 10,3 % et 15,7 %. Selon nous, ce n’est rien de moins qu’un désastre en devenir, le secteur automobile étant particulièrement visé par les barrières commerciales. Nous nous demandons d’ailleurs comment il est possible que les taux de fret du transport automobile n’aient pas été mis sous pression jusqu’à présent. L’augmentation du transport de véhicules militaires y est peut-être pour quelque chose ?
Pour les petits porte-conteneurs, l’avenir semble prometteur. En raison de la forte augmentation des tailles dans le secteur, les mastodontes récemment construits et qui doivent encore être livrés ne peuvent plus entrer que dans un nombre limité de ports, ce qui signifie que leur cargaison doit être distribuée par des navires plus petits (« feeders »). La flotte de ces navires est plutôt obsolète et il y a actuellement peu de nouvelles constructions/commandes.
Pour les pétroliers transportant des produits raffinés, la sonnette d’alarme est tirée. Les navires de type Long Range 2 (LR2), les plus grands de ce segment, devraient enregistrer une croissance nette de leur flotte de 25,7 % en 2026. Pour leurs homologues légèrement plus petits de type Long Range 1 (LR1) et Medium Range (MR), les chiffres sont de 13,1 % et 8,8 %. Tous ces chiffres sont bien supérieurs à la croissance attendue de la demande.
Pour les transporteurs de pétrole brut, les perspectives sont légèrement meilleures, tant du point de vue de la demande potentielle que de la croissance nette attendue de la flotte. En particulier, les Very Large Crude Carriers (VLCC) devraient connaître une croissance nette de leur flotte inférieure à 1 % en 2025-2026. Un problème pourrait toutefois se poser si certains des navires LR2 mentionnés précédemment étaient transférés dans ce segment. Ces navires sont appelés « swing carriers », ce qui signifie que bien qu’ils soient construits pour transporter des produits pétroliers raffinés, ils peuvent également être chargés de pétrole brut. Si tel est le cas dans les années à venir (ce qui est probable), l’expansion nette de la flotte sur le marché des transporteurs de pétrole brut pourrait être supérieure à la demande et peser ainsi sur les taux de fret.
Enfin, le segment offshore devrait connaître une réduction nette de la flotte de navires de ravitaillement de plate-forme (PSV) de taille moyenne au cours des deux prochaines années. Ces navires sont utilisés pour transporter des matériaux et des déchets vers et depuis les installations de production pétrolière offshore, actuellement en plein essor. Bien qu’un peu surprenant à première vue, le faible niveau de nouvelles commandes pour ces navires est dû aux prix de construction extrêmement élevés et aux taux de fret qui étaient très bas jusqu’à il y a deux ans. La musique n’est donc pas prête de s’arrêter dans ce segment.
En ces temps d’incertitude et de volatilité des marchés financiers, une approche prudente et sélective de l’investissement reste primordiale – comme nous venons de l’illustrer avec l’exemple de l’industrie du transport maritime. Du côté des obligations, il semble de plus en plus probable que la Fed aura moins de marge pour réduire les taux d’intérêt, les politiques de la nouvelle administration américaine étant sur le point de stimuler à la fois la croissance du PIB américain et l’inflation. C’est ce qui explique notre décision de vendre des obligations américaines à long terme. Il n’en va toutefois pas de même en Europe, où les rendements à long terme sont en fait orientés à la baisse, ce qui permet de réaliser des gains d’investissement – en dehors de la France. Enfin, nous restons de fervents partisans des fonds d’investissement alternatifs, même après leurs excellents résultats de 2024. Plus précisément, nous considérons que les hedge funds sont bien placés pour tirer parti de la volatilité future des marchés.
Sur ce, nous souhaitons à tous nos lecteurs des fêtes de fin d’année heureuses et pas trop mouvementées.