Les événements géopolitiques ont été quelque peu relégués au second plan en novembre et, l’inflation continuant à baisser dans un contexte d’activité américaine encore résiliente, les marchés obligataires et – surtout – les marchés d’actions ont été d’humeur festive. Les chances d’un atterrissage en douceur de l’économie se sont en effet améliorées, même si la concrétisation des espoirs actuels des investisseurs dépendra largement de la marge de manœuvre dont disposeront les banques centrales pour réduire les taux d’intérêt en 2024. Celle-ci dépendra à son tour des indices d’inflation et, notamment, de la trajectoire des prix du pétrole.
Les dernières publications de l’IPC – Indice des prix à la consommation – ont réservé de bonnes surprises de part et d’autre de l’Atlantique. Pour le mois d’octobre, l’inflation globale américaine s’est établie à 3,2 % en glissement annuel, contre 3,7 % en septembre. Quant à l’indice de base de l’IPC (hors alimentation et énergie), il a augmenté de 4 %, son taux le plus bas en glissement annuel depuis septembre 2021. Dans la zone euro, l’inflation globale est passée de 2,9 % en glissement annuel en octobre à 2,4 % en novembre, l’indice de base de l’IPC passant de 4,2 % à 3,6 %.
Capitalisant sur ces chiffres d’inflation favorables, les marchés financiers tablent désormais sur des baisses de taux d’intérêt plus rapides de la part de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne. D’où la forte hausse de novembre. Toutefois, si une réorientation de la politique monétaire vers la mi-2024 est possible, elle n’est en aucun cas acquise, tant la marge de manœuvre des banques centrales est étroite.
L’économie mondiale pourrait bien réussir un atterrissage en douceur au cours des prochains trimestres. Mais, compte tenu de l’effet de levier massif présent dans le système financier, tant public que privé, et des taux d’intérêt élevés qui commencent à se faire sentir, les choses pourraient tout aussi bien se gâter. L’épargne excédentaire accumulée par les consommateurs américains pendant la période du Covid est désormais largement épuisée, du moins en ce qui concerne les classes modeste et moyenne, comme le montre la récente augmentation de l’endettement par carte de crédit. Les banques d’investissement, qui sont généralement les premières à licencier du personnel face au ralentissement des fusions-acquisitions et des introductions en bourse, viennent de commencer à mettre en œuvre de telles mesures, ce qui pourrait être le signe d’un assouplissement du marché du travail américain. Et bien que les prix de l’immobilier se maintiennent, les volumes de transactions ont nettement diminué, ce qui laisse penser que ce n’est peut-être qu’une question de temps avant que les ventes forcées (en raison de la forte hausse des taux hypothécaires) ne commencent à se concrétiser.
Le fort ralentissement des secteurs de l’industrie et de la construction, qui précède généralement une baisse similaire dans les services, plaide en faveur d’une maîtrise de l’inflation tout au long de l’année 2024. Cela dit, et comme nous l’avons écrit précédemment, le recul de l’inflation au cours des derniers mois est également lié à des effets de base. Les prix de l’énergie ont été comparés à leurs pics d’il y a environ un an. À mesure que nous avançons dans l’année 2024 et que les comparaisons d’une année sur l’autre se déplacent vers les mois postérieurs au pic, ces effets de base de l’énergie pourraient passer de négatifs à positifs, ce qui exercerait une pression à la hausse sur les chiffres de l’IPC global.
La trajectoire que suivront les prix du pétrole au cours des prochains trimestres sera donc cruciale pour déterminer la marge de manœuvre dont disposeront les banques centrales pour réduire leurs taux – et dans quel délai. À cet égard, une analyse détaillée de la dynamique actuelle du marché pétrolier révèle une situation plutôt équilibrée. Du côté de la demande, le kérosène a retrouvé ses niveaux d’avant la crise, mais la consommation chinoise de pétrole reste irrégulière et les conditions météorologiques récentes, plus chaudes que d’habitude aux US, ont freiné la demande américaine. Du côté de l’offre, la production américaine a augmenté de 700 à 800 000 barils par jour en 2023 (une tendance qui pourrait se poursuivre jusqu’à la fin de 2024, avant que le ralentissement massif de l’activité privée et le plafonnement de l’efficacité de la production n’y mettent un terme), la production russe a été (de manière assez surprenante) stable, de même que les expéditions iraniennes (probablement davantage pour des raisons géologiques), et il a fallu des réductions volontaires et régulières de la production de l’OPEP pour maintenir le prix du pétrole. Dans l’ensemble, la récente fourchette de prix de 70-80 USD pour le brut WTI semble devoir prévaloir au cours des 12 prochains mois environ, ce qui signifie que les effets de base à la hausse sur les chiffres de l’IPC global pourraient s’avérer limités.
En ce qui concerne les portefeuilles, rétrospectivement, notre positionnement en fin d’année était un peu trop prudent. L’augmentation de l’exposition et de la duration des obligations a été une bonne décision, mais l’ampleur de la reprise en cette fin d’année des marchés d’actions a éclipsé celle des marchés obligataires. Nous restons néanmoins fidèles à notre positionnement sur les obligations, car nous pensons que les rendements offerts sur les crédits de première qualité (c’est-à-dire de qualité « investment grade ») à plus long terme sont très convenables. Avoir une certaine exposition à l’or et au pétrole en tant qu’assurance contre des développements géopolitiques extrêmes continue également à notre avis d’être judicieux – en particulier avec les combats qui viennent de reprendre au Moyen-Orient.
En ce qui concerne les marchés d’actions, si les chances d’un atterrissage en douceur se sont certes améliorées, la toile de fond n’a pas changé de manière radicale au cours des dernières semaines. L’économie mondiale n’est pas sortie d’affaire et, à l’horizon 2024, nous restons préoccupés par le fait que les multiples du marché des actions et les prévisions de bénéfices du consensus sont excessifs…