Les considérations géopolitiques limitent-elles la croissance économique ?

13 juillet 2023

Pascal Blackburne

Il fut un temps où les actions des décideurs politiques chinois étaient prévisibles et ne visaient qu’un seul objectif : maximiser la croissance économique. Au cours des dernières années, cependant, leurs motivations semblent avoir changé. Ils ont commencé par réglementer strictement les secteurs de la technologie et de l’enseignement en ligne, puis ont adopté une politique stricte de « zéro Covid » (suivie de son abolition étonnamment soudaine) et, plus récemment, ont adopté un programme clairement orienté vers la géopolitique, avec des mesures telles que la restriction des exportations de gallium et de germanium, des métaux nécessaires à la production de puces et de batteries. Le géant endormi s’est clairement réveillé et cela ne sera pas sans conséquences pour le reste du monde.

L’annonce faite le 3 juillet de soumettre les exportations de gallium et de germanium, deux métaux rares, à une autorisation préalable des autorités chinoises a été étonnamment peu relayée par la presse. Pourtant, son impact potentiel sur la fabrication, en Occident, de semi-conducteurs ou de batteries est important. L’annonce est généralement considérée comme une mesure de rétorsion à l’encontre des restrictions américaines sur les ventes de technologies à la Chine. Un exemple récent notable est la pression exercée par le gouvernement américain sur son homologue néerlandais pour bloquer les exportations d’ASML (le leader mondial néerlandais des imprimantes de puces avancées) vers la Chine.

Le gallium et le germanium ne se trouvent pas uniquement en Chine, mais la réalité actuelle est que la Chine domine leur production. Le pays dispose en effet de la plus grande capacité d’extraction et de raffinage. On estime que la Chine contrôle actuellement 80 % de la production de gallium et 60 % de la production de germanium. L’Europe se trouve donc dans une situation particulièrement vulnérable : pour progresser vers ses objectifs ambitieux en matière de transition énergétique, elle dépendra de plus en plus de la Chine en tant que fournisseur de métaux rares. Jusqu’à présent, l’histoire de l’Europe concernait principalement l’accès au pétrole (Moyen-Orient) et au gaz (Russie) ; demain, il s’agira de l’accès aux métaux rares (Chine). En d’autres termes, l’Europe essaie – pour des raisons louables – de montrer la voie dans la transition vers des émissions nettes de CO2, mais elle n’a pas vraiment les ressources pour le faire. Une attitude qui semble à la fois un peu naïve et quelque peu hypocrite : lorsqu’on s’appuie sur une exploitation minière « sale » réalisée ailleurs, il y a de toute façon des conséquences environnementales.

Dans le même ordre d’idées, il est frappant de voir les grands constructeurs automobiles français et allemands envisager de construire de nouvelles usines en Afrique pour fabriquer des voitures à moteur à combustion destinées à être vendues sur les nombreux marchés (africains et autres) où l’utilisation de ces voitures n’est pas sur le point d’être « interdite ». Que de grandes entreprises chimiques européennes déplacent leurs projets d’investissement aux États-Unis pour profiter d’une énergie moins chère, d’une réglementation moins contraignante, de subventions disponibles et d’une main-d’œuvre plus flexible est une autre chose. Mais une usine américaine produisant du plastique générera les mêmes émissions de gaz à effet de serre qu’une usine européenne (peut-être même plus, étant donné les directives environnementales moins strictes aux États-Unis), et la production devra ensuite être réexpédiée en Europe, ce qui entraînera encore plus d’émissions.

En définitive, les mesures nécessaires pour réduire les émissions de CO2 doivent être prises à l’échelle mondiale. Mais le monde dans son ensemble n’est apparemment pas encore prêt, et des considérations géopolitiques rendent la situation très compliquée aujourd’hui, avec un désavantage structurel pour l’Europe.

Sur le plan de l’investissement en actions, ce paysage géopolitique et réglementaire incertain et en évolution rapide rend extrêmement difficile la prévision des bénéfices des entreprises. C’est pourquoi nous préférons actuellement une approche à deux niveaux, combinant l’investissement dans des multinationales qui peuvent plus facilement adapter leurs modèles d’entreprise à l’évolution du terrain de jeu mondial et l’investissement dans des entreprises locales opérant dans des segments « sûrs » de la transition énergétique. Parmi ces dernières, nous mentionnons, par exemple, les producteurs d’isolants en raison des coûts de transport élevés (les matériaux d’isolation pèsent peu mais sont très encombrants) et également les entreprises de recyclage qui, dans le contexte européen, sont essentiellement l’équivalent de sociétés minières.

En ce qui concerne les perspectives des marchés financiers, il nous est toujours très difficile de faire des prévisions plus ou moins réalistes à court terme. Les banques centrales n’ont pas encore fini de relever leurs taux d’intérêt et si l’inflation se maintient à des niveaux élevés pendant une période suffisamment longue, les rendements des obligations à long terme continueront également à augmenter. Après une baisse temporaire à la suite de la crise des banques régionales américaines en mars, les rendements des obligations d’État américaines à 10 ans sont déjà remontés dans la zone des 4 %, un niveau qui n’avait pas été atteint depuis la période précédant la grande crise financière de2008.

Nous ne savons pas où se situe le « déclencheur » qui amènera les investisseurs à opérer une « réorientation majeure » des placements en actions vers les obligations, mais nous n’en sommes peut-être pas très éloignés pour l’instant. Une sérieuse correction du marché boursier n’est alors clairement pas exclue. Il ne nous semble pas déraisonnable d’allonger déjà quelque peu la duration moyenne de la partie obligataire des portefeuilles (jusqu’à un maximum de cinq ans) dès que le rendement des obligations européennes de haute qualité atteindra environ 4 %. Un niveau qui devrait offrir une protection suffisante contre l’inflation, en supposant que les banques centrales parviennent à la ramener à 2 % dans un délai raisonnable. En attendant, rester prudent avec les actions nous semble également approprié.

12 juillet 2024

L’Europe en difficulté

LIRE PLUS

12 juin 2024

Le mystère de la disparition de la prime de risque des actions

LIRE PLUS

17 mai 2024

Inflation : Un Dernier Kilomètre Difficile

LIRE PLUS

24 avril 2024

Ceci n’est pas une banque dessinée

LIRE PLUS

15 avril 2024

Surfer le rallye boursier ?

LIRE PLUS

15 mars 2024

De nombreux points en suspens

LIRE PLUS

12 février 2024

Verre à moitié plein ou à moitié vide ?

LIRE PLUS

15 janvier 2024

Perspectives pour 2024

LIRE PLUS

11 décembre 2023

L’espoir d’un atterrissage en douceur s’accroît

LIRE PLUS

10 novembre 2023

Un monde dangereux

LIRE PLUS