Les banques centrales ayant (enfin) pris la mesure du risque inflationniste et annoncé la poursuite des hausses de taux jusqu’à ce que les indices de prix soient maîtrisés, les rendements nominaux des obligations augmentent également rapidement. Ce qui les rapproche du niveau auquel les investisseurs pourraient être tentés de faire le « grand saut » des actions vers les obligations, avec pour conséquence un effondrement potentiel des marchés boursiers. Mais nous n’en sommes pas encore là, et on peut espérer un rallye à plus court terme – car la morosité actuelle pourrait s’avérer exagérée.
Après n’être revenu en territoire positif qu’au début de l’année, le rendement allemand à 10 ans a désormais franchi le seuil des 2%. Entre-temps, son homologue américain s’approche même de 4%. Il arrivera un moment où les rendements nominaux seront suffisamment élevés pour attirer à nouveau les investisseurs sur les marchés obligataires. Le point de bascule précis est évidemment difficile à prévoir, et probablement plus bas en Europe qu’aux États-Unis. Mais ce qui semble clair, c’est que nous assistons actuellement à la fin de l’ère TINA (« There Is No Alternative »).
La correction des actions en 2022 est singulière dans la mesure où elle s’est accompagnée d’un mouvement de baisse similaire des actifs obligataires (ce qui rend difficile la protection des portefeuilles d’une baisse marquée par une diversification adéquate entre actions et obligations). Bien que la guerre en Ukraine continue de s’intensifier et que nous soyons confrontés à une grave crise énergétique, aucune vente forcée en panique n’a encore eu lieu sur les marchés et nous n’avons pas assisté à un niveau de peur proche de celui qui prévalait en 2008, par exemple.
À l’époque, la survie du système financier était en jeu. Aujourd’hui, la question la plus urgente pour les gouvernements est de soutenir les entreprises et les ménages qui voient leur facture énergétique exploser. Les responsables politiques allemands et néerlandais capitalisent sur la situation financière relativement solide de leurs pays – qui ont été plus disciplinés dans leurs dépenses publiques depuis la grande crise financière – pour débourser des dizaines, voire des centaines de milliards d’euros (Allemagne) au niveau national. Cette situation provoque des tensions au sein de l’UE, la France et l’Italie déplorant le manque de solidarité entre les pays membres. Pour la France, le problème énergétique est moins aigu grâce à sa capacité nucléaire – une fois que toutes les centrales seront à nouveau opérationnelles. Mais pour l’Italie, la situation est vraiment très critique. Et elle ne peut même pas suivre la voie britannique, celle des subventions massives financées par la dette publique, puisqu’elle n’a pas sa propre monnaie (pour la laisser dévaluer) ni ses propres autorités monétaires (pour limiter l’élargissement de l’écart de rendement par des interventions sur le marché). En effet, tôt ou tard, l’UE pourrait bien être confrontée à une nouvelle version de la tragédie grecque de 2010-2011.
Du point de vue de la banque centrale, le problème de l’inflation ne peut être résolu que d’une seule manière: en poussant la demande (de biens et de services, mais aussi de main-d’œuvre) en dessous de l’offre. Ce qui, bien entendu, implique de brisé le cycle économique. D’après notre analyse, les marchés boursiers prévoient actuellement une baisse d’environ 15% des bénéfices des entreprises, ce qui est typique d’une récession classique. Ainsi, si la récession induite par le resserrement actuel de la politique monétaire s’avère relativement légère, tant en intensité qu’en durée, les marchés boursiers pourraient être proches de leur point bas. À condition, bien entendu, que les taux d’intérêt n’augmentent plus tellement.
Les améliorations dans les chaînes d’approvisionnement pourraient également apporter un certain soutien aux marchés boursiers au cours des prochaines semaines. Les taux de fret pour les conteneurs ont baissé d’environ 60 % depuis le début de l’année et les délais d’expédition de l’Asie vers la côte ouest des États-Unis sont passés de 120 jours à leur apogée à près de 40 jours. Cela permet non seulement de soutenir les marges des entreprises, mais aussi de réduire leurs besoins en fonds de roulement.
Enfin, toujours dans l’optique de développements positifs potentiels à court terme, les températures hivernales pourraient forcer une forme d’immobilisation militaire en Ukraine, ouvrant peut-être même la possibilité d’une solution négociée au conflit. Inutile de dire que les marchés boursiers rebondiraient sur la nouvelle de la simple ouverture de tels pourparlers…
Dans l’ensemble, la situation actuelle reste très précaire (géopolitique, inflation, Covid-19, environnement, inégalité des revenus, pour n’en citer que quelques-uns) mais les banques centrales ont au moins commencé à prendre les choses en main. De plus, une grande partie des mauvaises nouvelles a déjà été prise en compte dans les cours des actions. Il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que les taux d’intérêt ne dépassent pas le point de bascule.
Perspectives des prix du pétrole à 2 ans : la seule voie semble être la hausse
L’OPEP+ a récemment fait la une des journaux en annonçant une réduction de 2 millions de barils par jour de leurs quotas de production. Mais au-delà du communiqué de presse et des répercussions géopolitiques, le fait est que les membres du cartel ont récemment été incapables de respecter leurs quotas. En fait, ce que l’OPEP+ a fait lors de sa réunion de début octobre a été d’ajuster ces quotas aux réalités actuelles de la production.
En examinant de plus près la situation de l’offre et de la demande, nous pensons que les perspectives de prix du pétrole pour les deux prochaines années sont positives.
Sur le front de l’offre, les problèmes sont bien antérieurs au conflit ukrainien. Pendant des années, nous avons commenté le manque d’investissements dans de nouveaux projets pétroliers – en dehors de l’industrie américaine du pétrole de schiste. Et même dans ce cas, les fruits à portée de main (c’est-à-dire les puits déjà forés mais pas encore fracturés ou DUCs) ont maintenant été exploités. De nouveaux forages pétroliers restent possibles dans certaines régions du monde, mais ils nécessiteront des capitaux – qui n’ont pas été si nombreux ces dernières années – et un délai bien supérieur à 24 mois pour entrer en production.
Sur le front de la demande, le risque de baisse du pétrole est moindre que ce qu’il serait habituellement dans un environnement de récession. Ceci est notamment lié aux besoins de production d’électricité. Selon l’EIA (Energy Information Administration) américaine, 61% de l’électricité mondiale provient encore de combustibles fossiles. Parmi ceux-ci, le charbon est (de loin) le plus intensif en CO2, ce qui signifie qu’un recours accru aux centrales au charbon rendrait impossible la réalisation des objectifs de réduction des émissions pour 2030. Quant au gaz, il est de moins en moins disponible en dehors des États-Unis, surtout si l’on se projette dans un an, lorsque les réserves européennes actuellement pleines auront été épuisées. En effet, les gazoducs Nord Stream ont été irrémédiablement mis hors service, les nouveaux terminaux de LNG ne seront achevés que dans quelques années, et les (moins de 60) navires existants dans le monde qui sont équipés pour servir de terminaux flottants ont déjà tous fait l’objet de contrats. Ce qui signifie que, dans la catégorie des combustibles fossiles, le pétrole est la seule source d’électricité qui pourrait facilement être augmentée.
L’alternative est bien sûr de développer l’utilisation des 39% de sources d’énergie restantes, dont 10% de nucléaire et 29% d’énergies renouvelables (16,7% d’hydraulique, 6,2% d’éolien, 3,3% de solaire, 2,4% de biomasse et 0,3% de géothermie). Le nucléaire peut toutefois être exclu de notre analyse à un horizon de deux ans (au-delà du retour sur le réseau des centrales nucléaires françaises), étant donné le délai de dix ans nécessaire à la construction d’une nouvelle centrale. Il ne reste donc que les énergies renouvelables, ainsi que le pétrole mentionné plus haut.
Cela peut sembler quelque peu paradoxal, mais le fait que nous anticipons un prix du pétrole élevé, même en cas de ralentissement économique, et donc notre opinion selon laquelle les investisseurs doivent conserver leurs positions dans le secteur de l’énergie, devrait également servir à encourager les investissements dans les énergies renouvelables, rendant ainsi possible la transition verte nécessaire à plus long terme. C’est probablement le point positif des difficultés actuelles en matière d’énergie.