Alors que le monde occidental s’achemine vers la récession, la Chine pourrait bien inverser la tendance, grâce à un assouplissement longtemps attendu des restrictions sur le Covid-19. Bien que cette décision ait probablement plus à voir avec des préoccupations de stabilité sociale qu’avec la croissance économique, le fait est qu’elle stimulera l’activité chinoise, ce qui aura des répercussions sur les prix des matières premières, notamment le pétrole.
Les images télévisées d’étudiants chinois brandissant des affiches vierges et chantant des simulations de chansons de soutien au gouvernement montrent clairement à quel point il est dangereux de défier le régime, mais aussi l’ampleur des souffrances que les confinements ont infligées à la population au cours des trois dernières années. Si l’on ajoute à cela le nombre d’ennemis potentiels que le président Xi Jinping s’est fait dans les rangs du Parti communiste chinois, alors qu’il a remanié le Comité permanent du Politburo (l’organe décisionnel suprême du pays) pour qu’il ne compte plus que des alliés, on comprend que le pays est actuellement sur une corde raide. Il n’est donc pas surprenant de voir les restrictions être enfin levées dans certaines grandes villes et les protocoles d’isolement devenir moins stricts. Officiellement, évidemment, cet assouplissement est attribué non pas aux manifestations mais à la souche Omicron devenue moins virulente…
Si, comme nous le prévoyons, cette réouverture de la Chine s’accélère au cours des prochains mois, la croissance supplémentaire sera la bienvenue dans un contexte global de ralentissement économique (voire bientôt de récession). Un marché, cependant, pourrait se passer de cette demande supplémentaire: le pétrole. En effet, on estime que la seule reprise des vols internationaux de/vers la Chine et du trafic aérien intérieur nécessitera quelque 2 millions de barils de pétrole supplémentaires par jour. A quoi il faut ajouter le pétrole qui sera nécessaire pour d’autres usages, notamment une plus grande production industrielle.
Pendant ce temps, du côté de l’offre de pétrole, le tableau reste plutôt limité. Les stocks américains se situent actuellement à des niveaux très bas, même en incluant les réserves stratégiques. Il sera difficile d’augmenter sensiblement la production de schiste, étant donné que les producteurs sont désormais concentrés sur la discipline de leur bilan et leurs préoccupations légitimes concernant les perspectives économiques – sans parler des considérations environnementales chères aux démocrates. Il ne faudra donc pas s’attendre à une production supplémentaire de plus de 600 000 à 700 000 barils par jour en 2023. C’est sans doute pourquoi le gouvernement Biden a récemment signalé un assouplissement de ses sanctions à l’égard du Venezuela, permettant à Chevron d’y reprendre ses activités. Officiellement, évidemment, cette décision est attribuée non pas à une offre mondiale de pétrole insuffisante, mais à la reprise du dialogue entre le gouvernement vénézuélien et le groupe d’opposition…
La question clé concerne la véritable capacité de production du Venezuela. En termes de part des réserves mondiales, le pays occupe la première place (18%), devant même l’Arabie Saoudite (16%). Nombre de ses installations sont cependant dans un état lamentable, nécessitant du temps et l’aide de compagnies étrangères pour se remettre en production. Par rapport à une capacité théorique de 2 à 2,5 millions de barils par jour, le Venezuela n’en pompe actuellement qu’environ 700’000, contre un minimum d’environ 300’000 en octobre 2020. Même avant l’arrivée du Covid-19, la production du pays était considérablement inférieure à la capacité théorique, à environ 1,7 million de barils par jour. Dans un avenir prévisible, il est peu probable que le pétrole sortant du Venezuela dépasse 1 million de barils par jour, ce qui est bien inférieur à la demande supplémentaire de la Chine.
Qu’en est-il du pétrole iranien? Là aussi, les sanctions internationales limitent fortement la production: quelque 2,5 millions de barils par jour sont actuellement produits, contre une capacité théorique de 4,2 à 4,5 millions. Au cours de la courte période 2016-2018, lorsque les sanctions ont été levées, la production de pétrole iranien a atteint 3,8 millions de barils par jour – ce qui signifie qu’une hausse potentielle de 1,3 million de barils par jour pourrait se matérialiser si un accord international sur le programme nucléaire du pays était conclu. Mais si cet accord est en gestation depuis un certain temps déjà, le mouvement de protestation en cours complique les choses, car les pays occidentaux ne voudront pas être vus en train de dialoguer avec un gouvernement iranien contesté. Quoi qu’il en soit, atteindre à nouveau le niveau de production de 2016-2018 prendrait beaucoup de temps.
Enfin, nous en arrivons à l’OPEP+. Comme nous l’avons écrit il y a quelques mois, la réalité fondamentale est que les membres du cartel sont actuellement incapables d’augmenter leur production. Et la capacité dont dispose la Russie sera mise à mal par l’embargo européen qui débutera en décembre. Il convient de noter qu’elle ne peut pas être simplement détournée vers la Chine, en raison des limitations des infrastructures de transport. Il n’y a pratiquement pas de pétroliers disponibles à l’heure actuelle, comme en témoignent les taux de fret très élevés sur ce segment.
Dans l’ensemble, si l’économie chinoise retrouve sa vitesse de croisière au cours des prochains trimestres, les prix de l’énergie risquent d’augmenter, ce qui va à l’encontre de l’anticipation généralisée des investisseurs d’un recul de l’inflation – et donc d’un revirement des banques centrales. En effet, nous pensons que le marché est trop optimiste sur ce point, et pas seulement en raison des perspectives de l’offre et de la demande de pétrole. Les pressions salariales commencent tout juste à se faire sentir, sous l’effet de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, bien sûr, mais aussi en raison des pénuries de main-d’œuvre qui restent importantes.
Suite à la forte reprise récente des marchés, nous adoptons donc, tactiquement, une vision plus prudente sur les actions, préférant démarrer 2023 avec des couvertures en options. Un moyen de conserver une exposition à la hausse (contre le paiement d’une prime), tout en limitant les pertes en cas de nouvelle tendance baissière. Pendant ce temps, du côté des obligations, nous restons à l’affût d’opportunités dans le crédit européen – mais de manière sélective et en nous concentrant sur les émetteurs investment grade.