Du chaos naissent les opportunités

11 avril 2025

Pascal Blackburne

Le monde financier est actuellement dans la tourmente, les tarifs douaniers de Trump annoncés « le jour de la libération » suscitant l’incrédulité et l’inquiétude des économistes et des chefs d’entreprise, entraînant des mesures de rétorsion de la part des partenaires commerciaux et semant la pagaille sur les marchés boursiers du monde entier. L’agenda sous-jacent de la nouvelle administration américaine est difficile à déchiffrer – et sa prévisibilité quant aux décisions futures très faible. Ce qui semble clair, cependant, c’est que les consommateurs américains supporteront la majeure partie de la douleur, par le biais de l’inflation importée et des effets négatifs sur leur richesse, ce qui rendra encore plus difficile pour la Réserve fédérale de réduire davantage les taux d’intérêt. Une opportunité pour l’Europe de retrouver un levier économique et géopolitique ?

Notre approche très diversifiée dans l’allocation de nos portefeuilles, ainsi qu’une exposition inférieure à la moyenne aux marchés des actions (y compris aux valeurs technologiques américaines), ont permis de limiter les dégâts au cours des derniers jours. Néanmoins, nous devons reconnaître qu’il y a actuellement très peu d’endroits où les investisseurs peuvent se cacher et que la situation globale est à la fois inquiétante et très imprévisible.

La question que se posent la plupart des observateurs est la suivante : quelle est la logique qui sous-tend une approche aussi simpliste et punitive des droits de douane à l’importation ? S’agit-il de déstabiliser le commerce mondial, comme la présidence Trump a déjà déstabilisé les institutions internationales ? Ou s’agirait-il d’un moyen de « taxer » indirectement les ménages américains afin de financer l’extension de la baisse de l’impôt sur les sociétés ?

En outre, M. Trump souhaite une baisse du dollar pour stimuler les exportations américaines et, selon certaines rumeurs, il envisage de consolider la dette publique américaine. Les États-Unis paient déjà plus d’intérêts par an sur leur dette considérable qu’ils n’en dépensent pour leur défense. C’est une épine dans le pied du président, qui souhaite que cette charge d’intérêt diminue. Forcer l’échange des obligations du Trésor existantes contre de nouvelles obligations à (très) longues échéances et à taux d’intérêt faibles (ou nuls) est un scénario qui hante actuellement les ailes de Trump.

Ce n’est pas un scénario particulièrement réaliste, mais avec Donald Trump, on ne sait jamais. Après tout, une telle décision pourrait ébranler le système financier mondial et faire perdre au dollar américain son statut de monnaie de réserve. Il n’est donc pas étonnant que les bons du Trésor américain soient actuellement bradés.

Quelles que soient les intentions de l’administration Trump, le résultat économique ne peut être, selon nous, qu’une baisse de la croissance et une hausse de l’inflation aux États-Unis – faisant resurgir le spectre peu glorieux de la stagflation. Nous sommes particulièrement préoccupés par les effets de richesse négatifs, liés non seulement à l’impact direct de la hausse des droits de douane sur les consommateurs (on estime généralement que seuls 25 % de l’augmentation des prix seront absorbés par les entreprises tout au long de la chaîne d’approvisionnement), mais aussi à l’impact indirect via le système de retraite américain, entre autres. Une forte baisse du marché ne manquera pas d’affecter sérieusement les rendements des fonds de pension américains, compte tenu de leur forte exposition aux actions. À son tour, cette situation pèsera sur la confiance des ménages, réduira leur pouvoir d’achat et limitera leur capacité à emprunter de l’argent pour financer la consommation.

L’idée qu’un grand nombre d’entreprises industrielles étrangères décideront de construire des usines aux États-Unis – pour éliminer l’impact des droits de douane punitifs – nous semble excessivement optimiste. De tels plans d’investissement sont élaborés sur un horizon pluriannuel, alors que la situation politique aux États-Unis varie actuellement d’une semaine à l’autre. Sans parler du risque d’ouvrir une nouvelle usine dans un pays où l’État de droit pourrait (à l’avenir) ne plus fonctionner correctement.

En ce qui concerne l’Europe, comme nous l’avons déjà évoqué le mois dernier, nous voyons des opportunités considérables dans le chaos actuel. Les problèmes de longue date de la région (vieillissement de la population, déficits publics excessifs, montée du populisme) n’ont pas disparu, mais une voie se dessine. D’importants plans de dépenses publiques sont en cours d’élaboration, axés sur la défense et les infrastructures, et il existe une grande marge de manœuvre (en dehors de la France, de l’Italie, de la Grèce et de la Belgique, entre autres) pour les financer par le biais de la dette souveraine. Nous constatons également, depuis la publication du rapport Draghi, l’amorce d’un changement de mentalité en Europe en matière de réglementation et de bureaucratie. A l’heure où le débouché américain est menacé, la simplification des procédures européennes pourrait donner un coup de fouet au commerce intra-européen.

Il sera toutefois important que les pays membres de l’UE réagissent conjointement, en tant que bloc, aux dernières conditions tarifaires américaines, plutôt que d’essayer de négocier individuellement. Cela signifie que des transferts fiscaux devront être mis en place, de sorte qu’un pays particulièrement touché par les droits de douane (par exemple la France en raison de son secteur du champagne et du vin) soit aidé par d’autres pays membres moins touchés. Ces transferts fiscaux sont depuis longtemps la pièce manquante du puzzle de la construction européenne. Cette crise donnera-t-elle l’impulsion nécessaire à la mise en place d’une union plus complète ?

Une autre opportunité pour l’Europe réside dans le renforcement des liens avec d’autres régions du monde. Le Japon notamment, mais peut-être aussi la Chine et l’Inde, en vertu du vieil adage selon lequel « l’ennemi de mon ennemi devient mon ami ». La scène géopolitique mondiale évolue à la vitesse de l’éclair sous nos yeux.

Du point de vue de l’investissement, nous ne pouvons que réitérer l’importance de la diversification et d’une exposition limitée aux actions américaines (et aux autres actions richement valorisées). Les marchés pourraient rebondir, en fonction des nouvelles sur les tarifs douaniers, mais rien n’indique pour l’instant que les investisseurs avisés aient acheté agressivement la baisse. Nous allons évidemment suivre la situation de près, en nous efforçant de protéger au mieux les portefeuilles, tout en recherchant des opportunités d’investissement à plus long terme…

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