Danser sur un fil

9 mai 2025

P. Blackburne

La chute brutale des prix du pétrole est à la fois une bénédiction (en particulier pour les consommateurs et les indices d’inflation) et une menace (pour l’Arabie Saoudite et la Russie notamment, entre autres). De même, l’unité européenne retrouvée autour d’un programme de défense commun implique un délicat exercice d’équilibre entre, d’une part, les possibilités d’une gouvernance européenne plus efficace et, d’autre part, les risques d’une escalade de l’endettement et d’un ralentissement de la croissance économique future. Quant aux investisseurs, ils sont eux aussi confrontés à un choix difficile : comment préserver leur capital dans ce contexte économique et géopolitique très incertain, tout en profitant des opportunités de marché offertes par une volatilité accrue ?

Depuis le début de l’année, les prix du pétrole ont chuté de 15 %, sous l’effet conjugué d’une baisse des attentes en matière de demande et d’une augmentation de l’offre. Du côté de la demande, le ralentissement de la croissance économique dans le monde et les craintes d’une récession aux États-Unis sont bien sûr à l’origine de cette situation. Du côté de l’offre, la production américaine de pétrole de schiste a retrouvé des niveaux record et, au sein du complexe OPEP+, les principaux dépassements de quotas semblent être imputables à l’Irak et au Kazakhstan. L’acceptation actuelle par l’Arabie Saoudite d’une baisse des prix du pétrole pourrait donc refléter une volonté d’inculquer une discipline à ces pays. Au risque, toutefois, de mettre en péril ses propres finances publiques, puisque les prix actuels du pétrole sont bien inférieurs au niveau de 80 USD dont l’Arabie Saoudite a besoin pour parvenir à un budget équilibré. La Russie risque également de voir d’un mauvais œil la baisse des prix du pétrole. Après tout, il s’agit de sa principale source de revenus, qui lui permet de financer la guerre contre l’Ukraine.

Au-delà du budget saoudien, une période prolongée de prix bas du pétrole pourrait déstabiliser les plans de production futurs, ouvrant la voie à une pénurie d’approvisionnement à moyen terme. Pour les producteurs de pétrole de schiste américains, nous estimons que le « niveau de douleur » se situe autour de 50 USD. Pour les nouveaux projets de forage en mer, toujours plus éloignés et donc plus coûteux, il est probablement plus proche de 60 USD. Dans l’ensemble, nous constatons que les plans de dépenses d’investissement des sociétés pétrolières et gazières, après plusieurs années de redressement par rapport à leurs niveaux les plus bas de 2020, semblent stables pour 2025, avec un risque évident de réductions au cours des prochains trimestres.

Du point de vue des consommateurs américains, la baisse des prix du pétrole offre un certain répit dans la mesure où elle contribue à compenser les effets inflationnistes des politiques tarifaires du président Trump. Le fait que le dollar américain semble se stabiliser (les probabilités d’une éviction imminente du président de la Réserve fédérale américaine par le président Trump s’étant désormais atténuées) est également favorable aux perspectives immédiates de l’inflation américaine. Cela dit, le mandat de M. Powell à la tête de la Réserve fédérale se termine en mai 2026. Les inquiétudes concernant l’indépendance de la banque centrale américaine après Powell sont donc susceptibles de refaire surface dans un avenir pas si lointain.

Selon nous, ce dans quoi l’administration Trump s’est engagée ne semble rien de moins qu’une véritable « révolution ». Elle tente clairement de détruire le système actuel (un État de droit libéral, capitaliste et démocratique, ancré dans un ordre mondial international), mais ne semble pas savoir exactement par quoi le remplacer, ni comment y parvenir. Jusqu’à présent, il n’a rencontré que peu d’opposition, que ce soit de la part de la population américaine, des partis politiques ou des pays étrangers. Le Congrès a été effectivement contourné par l’utilisation de loi sur la sécurité nationale (National Security Act), qui accorde au président certains pouvoirs de décision (exceptionnels). Les seuls vents contraires à ce stade proviennent des décisions de justice, que nous considérons comme un facteur clé pour ralentir le rythme du « changement systémique » à l’avenir. Le président Trump peut-il vraiment continuer à aller à l’encontre des tribunaux ? Comment réagira-t-il au fait que les gouverneurs démocrates des États appliquent les décisions de justice plutôt que les décrets présidentiels ? Et qu’en est-il des actions judiciaires menées par des institutions puissantes telles que l’université de Harvard ? Pour l’instant du moins, le tableau d’ensemble reste très flou et imprévisible.

En ce qui concerne l’Europe, le premier tour de l’élection présidentielle roumaine (reconduite) a vu le candidat d’extrême droite arriver en tête. Si sa victoire est confirmée le 18 mai, la Roumanie sera un autre pays de l’UE à subir l’influence des partis nationalistes et populistes de droite (pro-russes). Associée à une extrême-droitisation « silencieuse » du PPE chrétien-démocrate (le plus grand parti du Parlement européen), cette situation pourrait avoir un impact négatif sur les changements espérés dans la gouvernance de l’UE, vers des processus décisionnels plus efficaces et la mise en place d’une certaine forme de transferts fiscaux entre les États membres, via l’émission éventuelle d’obligations européennes.

Si l’on considère que les espoirs d’un meilleur fonctionnement de l’UE ont été suscités par l’unanimité autour de la nécessité d’un programme de défense commun, il convient également de noter qu’un tel développement se ferait probablement au détriment d’une croissance économique optimale. On sait en effet que les dépenses de défense ont un effet multiplicateur de seulement 0,4-0,5, ce qui signifie qu’elles ralentissent la croissance potentielle. Les investissements dans les infrastructures et la technologie numérique, par exemple, ont un effet positif beaucoup plus important. Et comme, après tout, chaque euro ne peut être dépensé qu’une seule fois, il existe un risque de réduction des dépenses de sécurité sociale, ce qui pourrait servir à alimenter davantage l’humeur populiste de droite de la population.

L’historien Yuval Noah Harari établit un parallèle intéressant entre la prolifération des gouvernements nationalistes aujourd’hui et l’époque médiévale, où chaque seigneur construisait son propre château et gérait sa propre économie. Cependant, ces économies « locales » finissaient par atteindre leurs limites et le seul moyen de les étendre était d’attaquer le château voisin. En d’autres termes, le risque de conflits territoriaux est susceptible d’augmenter considérablement au cours des prochaines années si les politiques restent inchangées – une perspective peu réjouissante, mais à laquelle le président Trump a déjà fait allusion en exprimant son intérêt pour le Groenland, le canal de Panama et le Canada. On peut dire la même chose de la Russie qui veut annexer l’Ukraine et de la Chine qui veut annexer Taïwan.

Dans un contexte aussi risqué et incertain, comment les portefeuilles d’investissement doivent-ils être positionnés ? La préservation du capital étant notre principal objectif, nous continuons à préconiser des expositions très diversifiées entre les classes d’actifs, ainsi qu’entre les régions, les secteurs et les monnaies. En ce qui concerne les devises, nous maintenons pour l’instant notre surpondération de l’euro et notre sous-pondération du dollar américain, tout en recherchant d’autres opportunités de diversification (yen, livre sterling, franc suisse et monnaies émergentes). En ce qui concerne les marchés obligataires, compte tenu de la détérioration des finances publiques partout dans le monde, nous considérons principalement les obligations de grandes entreprises ayant une qualité de crédit élevée (notation « investment grade ») comme une alternative intéressante à la dette souveraine.

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