Wall Street vs. Main Street

10 août 2023

Pascal Blackburne

À Wall Street, le mois de juillet a été marqué par la poursuite des bonnes performances du mois de juin, les grands noms de la technologie affichant à nouveau les gains les plus importants. À tel point que le Nasdaq a décidé de réduire la pondération des « Sept Magnifiques » composant l’indice Nasdaq-100. Pendant ce temps, sur Main Street, la situation semble un peu moins rose, certains pans de l’économie se dirigeant vers la récession, s’ils n’y sont pas déjà. La saison des résultats des entreprises du deuxième trimestre s’avère certainement contrastée : certains secteurs continuent à se porter extrêmement bien, tandis que d’autres sont frappés de plein fouet.

L’annonce du Nasdaq est intervenue après que l’indice Nasdaq-100 a enregistré la meilleure performance de son histoire au premier semestre, grâce au battage médiatique autour de l’intelligence artificielle. Le communiqué de presse publié le 7 juillet indiquait que la redistribution des pondérations avait pour but de « remédier à la surconcentration de l’indice ». En effet, les sept premiers composants du Nasdaq-100 dépassaient chacun 4,5 % et représentaient collectivement plus de 48 % de l’indice, remplissant ainsi les conditions d’un remaniement selon la méthodologie du Nasdaq. Un tel ajustement était pour le moins souhaitable.

Cela montre également à quel point la hausse des marchés boursiers de cette année a été concentrée et à quel point certaines valorisations des actions sont devenues excessives. Lorsque l’on regarde au-delà des grands noms de l’indice, la situation est en effet très différente, comme c’est le cas dans l’économie « réelle ». Les résultats du deuxième trimestre sont très instructifs à cet égard.

Des résultats décevants, pour ne pas dire plus, ont été enregistrés par les entreprises industrielles, l’industrie chimique étant un exemple parmi d’autres. Il en va de même pour les acteurs liés au secteur de la construction. Alors que l’on a beaucoup écrit ces derniers temps sur la résilience de la consommation, grâce à l’excès d’épargne lié à la Covid et à des marchés du travail encore solides, le fait est que les ménages réduisent leurs dépenses discrétionnaires. Celles-ci sont désormais essentiellement consacrées aux activités de loisirs, comme le montrent par exemple les très bons chiffres du deuxième trimestre publiés par les compagnies de croisières (dont les navires sont presque entièrement réservés jusqu’à la fin de 2024). Les compagnies aériennes et les chaînes hôtelières affichent également des chiffres étonnamment élevés.

Le tableau dressé par les bénéfices des entreprises au deuxième trimestre est, sans surprise, corroboré par les enquêtes PMI (directeurs d’achat). Tant aux États-Unis qu’en Europe, l’indice PMI manufacturier se situe actuellement sous la barre des 50 (42,7 dans la zone euro et 49,0 aux États-Unis), tandis que l’indice PMI des services est toujours en territoire expansionniste (à 50,9 et 52,3 respectivement). Nous craignons évidemment que la tendance baissière sous-jacente de la demande industrielle ne finisse par se répercuter sur le secteur des services, ce qui pourrait faire basculer l’économie dans un ralentissement généralisé (récession).

Outre l’industrie manufacturière et les services, il y a bien sûr le secteur alimentaire, où une poignée de géants multinationaux semblent aujourd’hui jouir d’un énorme pouvoir de fixation des prix. La demande des consommateurs étant relativement inélastique en termes de volume, cela signifie qu’ils sont en mesure d’augmenter les prix finaux plus rapidement que les coûts, ce qui se traduit par une expansion des marges et des surprises très positives en matière de bénéfices trimestriels, du moins au cours du dernier trimestre. Cela contribue évidemment à l’inflation, tout comme l’augmentation des salaires en raison des marchés du travail qui restent tendus. Le fantôme de l’inflation est donc loin d’être mort, quoi qu’en disent certains hommes politiques. Sans compter que les prix de l’énergie (en particulier le pétrole) repartent à la hausse.

Ce sont autant de raisons pour lesquelles les banques centrales envisagent un nouveau resserrement monétaire, même si les hausses de taux historiquement rapides et fortes de ces deux dernières années commencent à peser sur l’investissement, en particulier dans la construction et plus généralement dans le capital-investissement. Alors qu’une baisse des taux d’intérêt permettrait d’alléger la pression financière qui pèse sur les ménages, les entreprises et les gouvernements, nous maintenons notre prévision d’une politique monétaire durablement restrictive.

Pour en revenir au marché des actions, cela signifie que les investisseurs doivent rester à l’écoute et ne doivent surtout pas poursuivre le rallye en cours sur les coûteuses « Sept Magnifiques ». Une position prudente reste justifiée à notre avis, d’autant plus que nous commençons à voir apparaître quelques fissures au sein du segment du non cotée. De nombreux fonds de capital-risque, qui ont de plus en plus de mal à attirer des capitaux supplémentaires, ne sont plus en mesure de continuer à soutenir financièrement les entreprises détenues dans leurs portefeuilles – qui n’ont pas encore atteint le seuil de rentabilité – ce qui entraîne de nombreuses restructurations et faillites. Une partie de l’argent ajouté par les banques centrales pendant la période des taux zéro disparaît donc du système. Un resserrement monétaire (non désiré) en soi…

En outre, les obligations deviennent chaque jour plus intéressantes, car la courbe des taux semble enfin se redresser : les taux d’intérêt à long terme sont, avec des hauts et des bas, certes, sur une tendance à la hausse.

Il faut donc s’attendre à ce que les compagnies d’assurance et les fonds de pension, entre autres, délaissent les actions (et les investissements en private equity) au profit des obligations, si les taux d’intérêt à long terme se rapprochent des rendements qu’ils attendent de leurs portefeuilles d’actions. Bien qu’il soit évidemment difficile de le prédire, un tel mouvement n’est peut-être pas si éloigné.

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