Le président Trump souhaitait que le Congrès adopte son projet de loi budgétaire phare (la One Big Beautiful Act) avant les célébrations du 4 juillet, ce qui a effectivement été le cas. Le déficit public américain devant augmenter fortement au cours des prochaines années, la pression pour générer des revenus hors des États-Unis et/ou réduire les coûts internationaux s’intensifie. Sur le plan intérieur, Donald Trump a intensifié ses critiques à l’égard du président de la Réserve fédérale, l’exhortant à procéder rapidement à des baisses de taux afin de réduire la charge d’intérêt sur la dette souveraine américaine, qui augmente rapidement.
On estime que la « Big Beautiful Bill » qui vient d’être votée par le Congrès américain augmentera le déficit fédéral de 3 500 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. En l’absence d’autres mesures substantielles de génération de revenus ou de réduction des coûts, les marchés financiers sont susceptibles de s’interroger à un moment donné sur la viabilité de la dette souveraine américaine. C’est sans doute la raison pour laquelle le président Trump a envoyé des lettres à de nombreux pays, principalement asiatiques, les avertissant de l’instauration de droits d’importation supplémentaires à partir du mois d’août. Il a également menacé les pays membres du BRICS d’un droit de douane supplémentaire de 10 %.
Il y aura probablement des représailles, même si pour l’instant tout le monde, y compris l’Union européenne (UE), semble craindre fortement l’Oncle Sam. Il est tout à fait compréhensible de ne pas vouloir que la situation dégénère en une guerre commerciale mondiale, mais il serait surprenant, selon nous, d’accepter sans broncher de telles mesures tarifaires. Le lobbying actif des entreprises industrielles pourrait expliquer la volonté actuelle des dirigeants politiques européens et autres de payer un prix plus élevé pour accéder au marché américain, mais nous ne voyons pas comment les producteurs internationaux pourront rester compétitifs face à la fois aux droits de douane supplémentaires imposés par les États-Unis et à la faiblesse persistante du dollar. Tout comme nous ne comprenons pas l’indifférence apparente des marchés actions à l’égard de toute cette question des droits de douane.
Du point de vue européen, céder aux pressions commerciales de l’administration Trump pourrait également refléter des inquiétudes quant à un éventuel retrait américain d’Ukraine, qui obligerait l’UE à renforcer son soutien financier et militaire à Kiev, alors qu’elle n’est actuellement ni en mesure ni suffisamment unie pour le faire. Maintenant que Donald Trump n’est pas parvenu à persuader Vladimir Poutine d’entamer des négociations de paix, il perd manifestement tout intérêt pour la situation ukrainienne.
Son raisonnement concernant l’OTAN semble similaire : les États-Unis ont trop payé pendant trop longtemps, il est donc temps que les autres membres augmentent leur contribution. La nouvelle norme (qui ne s’applique pas aux États-Unis !) a été fixée à 5 % du PIB et acceptée par tous, à condition que 3,5 % seulement puissent être utilisés pour les dépenses militaires directes et les 1,5 % restants pour des investissements dans les infrastructures connexes. Les membres de l’UE auront toutefois du mal à atteindre ce niveau de dépenses, sans parler de la mise en œuvre simultanée du très important « Green Deal » pour la transition énergétique, sans compromettre leurs systèmes de sécurité sociale.
Au sein de l’UE, l’Allemagne est non seulement un moteur historique de la croissance, mais aussi l’un des pays dont le poids de la dette est le plus faible. La dette publique actuelle s’élève à environ 60 % du PIB, bien en dessous de la moyenne européenne d’environ 80 %. En supposant que le gouvernement allemand ait un accès suffisant au marché obligataire, il est en mesure de subventionner la composante énergétique de ses producteurs industriels à hauteur d’environ 50 %, en plus d’une augmentation des dépenses militaires, ce qui confère aux entreprises nationales un avantage concurrentiel évident, par rapport à leurs homologues européennes. Dans le même temps, il existe des signaux clairs que l’Allemagne prend de plus en plus le contrôle des institutions européennes, ce qui n’est pas bien accueilli par certains autres États membres.
Finalement, où toutes ces pièces en mouvement constant mèneront-elles le monde ? Le discours de Trump est simple, pour ne pas dire simpliste : augmenter la production et la main-d’œuvre américaines et laisser les autres pays payer la note. Le problème avec cette façon de penser est que les mesures prises ont des conséquences à la fois complexes et imprévisibles. En fait, les incertitudes actuelles et les changements incessants sont si importants qu’il est très difficile de faire des prévisions éclairées. Ce qui semble clair, en revanche, c’est que les volumes du commerce mondial vont diminuer et que leurs schémas vont évoluer. Les tensions entre les États-Unis et la Chine sont très vives, mais il ne faut pas oublier que 75 % des flux commerciaux mondiaux ne concernent pas les États-Unis. De plus, avec le temps, les ennemis de nos ennemis peuvent devenir nos amis, ce qui peut entraîner des changements imprévisibles dans le paysage géopolitique.
Du point de vue de l’investissement, une approche axée sur la préservation du capital reste donc justifiée. Sur les marchés actions, l’augmentation des dépenses publiques (que ce soit dans le domaine de la défense, des infrastructures ou de la transition énergétique) profitera sans aucun doute à de nombreuses entreprises. Nous recommandons donc de maintenir l’exposition globale aux actions, mais de manière très diversifiée, en privilégiant les multinationales qui affichent des valorisations acceptables. La prime de risque américaine a pratiquement disparu, même en utilisant une version équipondérée de l’indice S&P 500 (c’est-à-dire non biaisée par les géants américains de l’informatique, dont les valorisations sont élevées), mais elle est toujours présente en Europe, ce qui explique notre réorientation géographique progressive des portefeuilles. En ce qui concerne l’exposition aux obligations, nous continuons de recommander d’éviter les obligations d’État à long terme, compte tenu de la détérioration des finances publiques dans le monde, et privilégions les obligations émises (une fois de plus) par des multinationales aux bilans solides. Enfin, les hedge funds restent une part importante de notre allocation d’actifs, avec une réorientation récente vers des stratégies plus neutres par rapport au marché.