Les derniers développements politiques au Royaume-Uni et en France sont les deux faces d’une même médaille : un vote de défiance à l’égard des dirigeants précédents, des gains considérables (bien que moindres que ce que l’on craignait) des partis « protectionnistes » d’extrême droite et l’espoir généralisé d’une augmentation des dépenses sociales. Toutefois, ces derniers seront sans aucun doute anéantis par les contraintes financières, compte tenu des niveaux déjà excessifs des déficits publics et de la dette, ainsi que de l’inflation toujours supérieure à l’objectif, qui empêche une baisse rapide des taux par la banque centrale. Cette toile de fond économique et politique explique aisément pourquoi les actions européennes se traitent actuellement à une décote par rapport à leurs homologues américaines.
Les critères de Maastricht fixés au début des années 1990 sont depuis longtemps ignorés. Aujourd’hui, peu de pays membres de la zone euro affichent des déficits budgétaires inférieurs à 3 %, même pendant les années de forte croissance économique. Quant à la limite de 60 % de la dette par rapport au PIB, elle est dépassée presque partout sur le continent, souvent avec une marge conséquente. Il fut un temps, au sortir de la pandémie de Covid, où les gouvernements étaient suppliés par la banque centrale de dépenser de l’argent – à des taux d’intérêt proches de zéro – afin de relancer l’économie européenne. Aujourd’hui, ils semblent incapables de réprimer leur frénésie dépensière, alors même que le coût de la dette menace de devenir insupportable.
La mécanique de la dette est en effet implacable. Lorsque l’incertitude politique ajoute 70 points de base à l’écart de rendement entre les obligations d’État françaises et allemandes, et que cet écart supplémentaire est appliqué à une masse croissante de dette publique (en raison de déficits annuels de plus de 5 %), le taux d’expansion du ratio dette/PIB de la France s’accélère. Au point que le pays est surveillé de près par les agences de notation et les autorités de l’UE. En fin de compte, nous nous attendons à ce que la Commission européenne intervienne et impose une solution à la France et à d’autres gouvernements de la région qui se trouvent dans une situation similaire.
Et ces contraintes financières interviendront dans un contexte de ralentissement de l’activité économique. Les activités de service continuent de se porter relativement bien, notamment le tourisme et les services aux professionnels – avocats, comptables – (en raison d’un ensemble de réglementations toujours plus nombreuses !), mais la situation du côté de la production et de la construction est proche de la récession. La résistance des services est probablement ce qui maintient le marché du travail tendu, expliquant à son tour pourquoi l’inflation n’est pas retombée à l’objectif officiel de 2 %. Comme nous l’avons expliqué en détail il y a quelques mois, nous sommes de plus en plus nombreux à penser qu’un niveau d’inflation proche des 3 % pourrait devenir la « nouvelle normalité », ce qui compliquerait la tâche des banques centrales qui souhaiteraient réduire leurs taux de manière agressive. Ce scénario est également étayé par les forces protectionnistes qui se manifestent partout dans le monde : les États-Unis et l’Europe augmentent les taxes à l’importation, la Chine a commencé à imposer des taxes à l’exportation, etc.
En ce qui concerne la Chine, sa principale différence par rapport au monde occidental est qu’en tant qu’économie planifiée, elle peut développer des projets à long terme. Parmi les exemples, citons bien sûr l’exploitation des métaux rares et, en particulier, le raffinage, l’initiative « Belt & Road », ainsi que les investissements massifs en cours dans l’électrification, la transition énergétique et la production de semi-conducteurs/électronique. En fait, le pétrole est probablement le seul domaine dans lequel la Chine ne contrôle pas entièrement la chaîne de valeur.
Pour l’Europe, l’établissement d’une relation commerciale appropriée avec la Chine sera donc crucial dans les années à venir. Pour éviter que les producteurs européens ne soient écrasés par des produits chinois beaucoup moins chers (comme ce fut le cas pour les panneaux solaires et comme cela menace de se produire dans l’industrie des véhicules électriques), il est absolument nécessaire de prendre des mesures industrielles de soutien. En mettant en œuvre de telles subventions, si tant est qu’elles puissent trouver les fonds nécessaires, les autorités européennes devront toutefois faire preuve d’une grande prudence, afin d’éviter de déclencher une véritable guerre commerciale préjudiciable avec la Chine. À cet égard, il convient de noter que les États-Unis sont moins dans l’embarras, grâce à leur avantage en matière de coûts énergétiques, au fait qu’ils possèdent la monnaie de référence mondiale et qu’ils ont déjà voté des plans de dépenses publiques massifs.
Dans l’ensemble, l’Europe est en grande difficulté, mais ce constat n’est malheureusement pas nouveau – comme le reflètent bien les multiples de valorisation des actions. Le seul changement apporté par les résultats électoraux du week-end dernier en France est le risque que le président Macron devienne un canard boiteux, et donc que l’Europe perde l’un de ses dirigeants les plus énergiques. On ne peut qu’espérer que quelqu’un, Mario Draghi par exemple, puisse jouer ce rôle à l’avenir.
Du point de vue de l’investissement, nous ne pensons pas que le moment soit venu d’augmenter le risque dans les portefeuilles. En fait, nous ne voyons pas d’ajustements nécessaires à faire, ayant déjà augmenté l’exposition et la durée des obligations, et conservant une exposition relativement prudente aux actions. Quid peut-être d’une modification de la répartition des actions entre les États-Unis et l’Europe ? Il est vrai que les indices américains ont largement dépassé leurs homologues européens au cours des derniers mois, mais leur valorisation élevée, ainsi que les rendements très concentrés des indices et le risque de change potentiel, nous empêchent de chasser la hausse. Sans compter que les élections de novembre se profilent, avec une présidence Trump de plus en plus probable qui promet de l’incertitude à gogo….