Dans les arrêts de jeu

14 octobre 2021

Pascal Blackburne

La chaîne d’approvisionnement est en difficulté : la capacité de production n’est pas adaptée à la demande actuelle, les goulets d’étranglement logistiques sont nombreux et les stocks « tampons » ont été largement épuisés. Il y a de fortes chances que les pressions inflationnistes qui en résultent durent plus longtemps que prévu.

Pour mieux comprendre comment cette grave inadéquation entre offre et demande est apparue, remontons quelque peu le temps. En 2019 plus précisément, lorsque les entreprises avaient généralement un pouvoir de fixation des prix limité et que les prix à la consommation avaient tendance à baisser – deux signes que la capacité de production était tout à fait suffisante pour répondre à la demande de l’époque. Puis, bien sûr, est arrivé la pandémie de Covid-19.

Au niveau de la demande, les gouvernements – avec le soutien total des banques centrales – ont rapidement distribué de l’argent aux ménages, afin de compenser la perte de revenus salariaux. Au cours des premiers mois, une grande partie de ce support financier des États a été thésaurisé, en raison des possibilités limitées de dépenses dans un monde verrouillé, et parce que les perspectives d’avenir étaient alors très incertaines. Vers la fin 2020, lorsqu’il fût clair qu’un vaccin serait bientôt disponible, ouvrant la voie à un retour progressif à une certaine forme de normalité, il est redevenu raisonnable pour les consommateurs d’être plus dispendieux. La demande refoulée a été libérée comme anticipé, mais, de manière un peu plus surprenante, les habitudes de consommation n’ayant pas repris de manière homogène. En particulier, la part du budget des ménages habituellement consacrée aux loisirs a été dépensée différemment : dans différents objets de consommation et pour l’amélioration de l’habitat notamment (rénovation, meubles, etc.).

Pendant ce temps, du côté de l’offre, les entrepreneurs ne se sont pas précipités (ni d’ailleurs ont été incités) à accroître leur capacité de production. Il est vrai qu’avec des taux d’intérêt proches de zéro, le coût de la dette est faible. Mais cela ne veut pas dire que le coût de l’investissement dans de nouvelles capacités de production est faible. Pour donner le feu vert à la construction d’une nouvelle usine, une direction doit être certaine que cette nouvelle capacité sera pleinement utilisée, c’est-à-dire que la demande sera durablement plus forte. Car si une usine reste vide, non seulement son coût doit être déprécié sur le plan comptable, mais l’emprunt contracté pour la financer doit être remboursé. De plus, dans ce monde de l’instantané de l’Internet, il est probablement utile de rappeler à nos lecteurs que la construction d’une usine pour produire des « biens » réels, et sa mise en route, est un processus compliqué qui peut prendre des années – contrairement à l’invention d’une nouvelle application.

Une demande forte et inhabituelle d’un côté, des capacités limitées de l’autre : la seule manière d’équilibrer l’équation offre-demande est d’augmenter les prix. Et comme les banques centrales, en particulier la Fed et la BCE, restent fermement sur leur position selon laquelle ces pressions sur les prix ne sont que transitoires, et sont donc dès lors très réticentes à relever les taux, nous nous attendons à ce que les niveaux d’inflation restent élevés pendant nettement plus longtemps que ce que le consensus prévoit actuellement.

Cela se traduit par des taux réels de plus en plus négatifs, qui pèsent sur le pouvoir d’achat (près de -4% en Allemagne par exemple). Pour compenser cet impact, les investisseurs n’ont guère d’autre choix que d’investir dans des actifs risqués (le fameux mot d’ordre « TINA » – There Is No Alternative – il n’y a pas d’alternative en français). Le fait que les investisseurs particuliers se ruent aujourd’hui sur les marchés actions en est le reflet, même si c’est généralement le signe (comme d’ailleurs la prolifération des introductions en bourse) que le rallye entre dans sa dernière ligne droite. Nous réaffirmons donc le positionnement de notre portefeuille, avec une duration courte du côté des obligations – afin d’être prêts lorsque la Fed et la BCE commenceront à relever les taux – et des investissements diversifiés en actions, en évitant les valorisations extrêmes et en maintenant des protections optionnelles pour aider à traverser les inévitables épisodes de correction.

 

LE MARCHÉ PÉTROLIER : UN CAS D’ECOLE INFLATIONISTE

L’énergie n’est pas une exception en termes d’inadéquation entre l’offre et la demande. Les stocks de pétrole brut et les stocks totaux de produits pétroliers, qui incluent les produits raffinés, sont en chute libre (voir graphique). Cette purge semble devoir se poursuivre au moins jusqu’à la fin de cette année. La demande de pétrole a retrouvé son niveau de 2019, tant au niveau international qu’aux États-Unis. Les restrictions sur les voyages s’assouplissent enfin et les ventes de billets d’avion ont bondi à la suite de la décision du gouvernement américain d’accepter les voyageurs internationaux vaccinés. En Chine, selon les données de l’IEA, la demande atteint même de nouveaux sommets.

Du côté de l’offre, le nombre de puits de forage aux États-Unis représente moins de la moitié de ce qu’il était la dernière fois que le prix du pétrole a atteint ce niveau et la production commencera à diminuer si le forage ne reprend pas. À l’échelle internationale, le nombre de puits de forage continue d’augmenter mais reste proche de son niveau de 2003, et la liste des grands projets sur le point d’entrer en production semble peu abondante dans un avenir proche.

En outre, le prix international du gaz naturel ayant atteint un niveau record, de nombreux pays remplacent les centrales au gaz par des centrales au diesel. Ce passage du gaz au diesel pourrait accroître la demande de pétrole de 500 000 à 1 million de barils par jour pendant les mois d’hiver.

Les prix de l’électricité ont commencé à atteindre de nouveaux sommets dans plusieurs pays européens, tandis que la Chine et l’Inde connaissent des vagues de pannes d’électricité. En bref, une véritable crise énergétique est en train de se produire.

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