Contrairement à de nombreuses attentes, les élections américaines ont produit un résultat rapide et sans ambiguïté. Le président élu et son parti républicain ont effectivement reçu un chèque en blanc, avec une majorité au Sénat et à la Chambre des représentants. Il semble donc probable que la plupart des promesses de campagne de Donald Trump seront tenues, avec des implications économiques, géopolitiques et environnementales majeures.
Les raisons de la victoire de Donald Trump ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers jours. En termes simples, du point de vue du citoyen américain moyen, la présidence Biden-Harris a été associée à une augmentation des coûts quotidiens (nourriture, essence et loyer/hypothèque). Le fait que l’inflation élevée soit un phénomène mondial (dû aux chamboulements de l’offre et de la demande liées au Covid et au déclenchement de la guerre en Ukraine) et que les syndicats américains aient réussi à imposer des augmentations de salaire significatives (qui ont maintenu le pouvoir d’achat des travailleurs) n’a manifestement pas eu d’importance. Le fait que la première présidence Trump ait massivement alourdi le fardeau de la dette fédérale et que les politiques qu’il a annoncées impliqueront un nouveau déficit public cumulé dépassant 5 000 milliards de dollars au cours des dix prochaines années n’était manifestement pas non plus un problème pour l’Américain moyen.
Les conséquences de cette victoire écrasante de Trump ne sont pas encore toutes connues, mais une chose semble déjà certaine : l’inflation américaine va regagner du terrain en raison des droits de douane annoncés. Il sera donc plus difficile pour la Réserve fédérale de poursuivre son cycle de réduction des taux. La question de savoir si les droits de douane supplémentaires atteindront effectivement les niveaux martelés pendant la campagne reste ouverte, mais la tendance sera certainement celle d’un renforcement du protectionnisme. Ce qui, indubitablement, signifie des prix finaux plus élevés pour les consommateurs américains.
D’un point de vue environnemental, les vues du président élu sont également claires. Les États-Unis se retireront à nouveau de l’Accord de Paris sur le climat et s’apprêtent à augmenter fortement leur production de pétrole et de gaz. D’ailleurs, le futur secrétaire américain à l’énergie est issu du secteur du pétrole de schiste. Les intérêts nationaux américains, sous la forme d’une plus grande indépendance énergétique et d’une baisse des coûts de l’énergie, l’emportent clairement sur la transition vers un monde à émissions zéro.
Avec la nomination d’Elon Musk et de Vivek Ramaswamy en tant que « réformateurs de l’appareil d’État », il y aura sans aucun doute un assaut pur et simple contre les organismes de réglementation (y compris la SEC, les régulateurs bancaires OCC et FDIC, la NASA, …). Des milliers de fonctionnaires seront licenciés et remplacés ou non par des fidèles de Trump. Les États dont les gouverneurs sont démocrates, comme New York et la Californie, entre autres, se préparent à s’opposer à cette mesure.
Elon Musk, quant à lui, se positionne de plus en plus comme le vice-président de fait à la place de JD Vance, le vice-président élu, et s’immisce de plus en plus dans l’arène géopolitique. Une évolution dangereuse car le PDG de Tesla, SpaceX et X Corp n’a pas la réputation d’une personnalité stable, ni d’ailleurs d’expérience sur la scène politique mondiale.
Le président élu resserre également son emprise sur l’armée en proposant un nouveau ministre de la Défense (un ami journaliste aux opinions d’extrême droite). Certains généraux peuvent déjà compter sur une retraite anticipée. La CIA passe également sous le contrôle de Donald Trump via la nomination de John Ratcliffe, son ancien « directeur du renseignement national ».
Tom Homan, ancien directeur de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) et co-auteur présumé du « Projet 2025 », sera chargé de la politique aux frontières. Il promet une déportation massive des immigrants sans permis de séjour valable dès le premier jour de sa nomination officielle (en janvier, donc). Les préparatifs des camps d’expulsion à la frontière mexicaine sont d’ailleurs déjà en cours. Le président élu veut utiliser la garde nationale (et éventuellement l’armée) pour traquer et expulser les « illégaux ».
En résumé, Donald Trump est engagé dans un coup d’État bien préparé et réalise exactement ce qu’il avait envisagé lors de sa campagne électorale. Il tente visiblement d’instaurer aux États-Unis un régime à la Poutine : un président tout-puissant entouré d' »oligarques » loyaux, en l’occurrence les puissants entrepreneurs fortunés des secteurs de la technologie et de l’investissement.
Assiste-t-on vraiment à la fin de la démocratie américaine, ou y aura-t-il des vents contraires ?
Cela nous amène aux implications géopolitiques possibles du changement imminent de l’administration américaine.
Le président élu a déclaré à plusieurs reprises qu’il mettrait fin à la guerre en Ukraine. La manière exacte dont cela se passera et la mesure dans laquelle Vladimir Poutine l’emportera restent des questions ouvertes. Le rôle que joueront l’UE et l’OTAN reste également flou, c’est le moins que l’on puisse dire. L’UE est actuellement quelque peu au point mort, avec des crises politiques en Allemagne et en France et une Commission européenne qui peine à sortir des starting-blocks. L’OTAN risque d’en sortir affaiblie si elle perd le soutien inconditionnel des États-Unis, ce qui est certainement une possibilité sous la présidence Trump. En Pologne, la sonnette d’alarme est déjà tirée, et le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France sont pressentis pour unir leurs forces dans le cadre d’une première initiative en faveur d’une alliance européenne de défense. Si cela devait se concrétiser, cela pourrait éventuellement sonner le glas de l’UE telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Quant à la situation au Moyen-Orient, on ne sait pas encore comment les différents intérêts vont se jouer. Israël pourra compter sur le président Trump dans sa lutte contre le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais. Il est également probable qu’il obtienne le feu vert pour une attaque contre l’Iran (avec le soutien logistique des États-Unis). Et le problème des Houthis au Yémen reste à résoudre, afin de libérer le passage par la mer Rouge et le canal de Suez.
La position de l’Arabie saoudite – en tant que grande puissance régionale et producteur de pétrole – peut être importante à cet égard. Les relations entre Donald Trump et Mohamed bin Salman al-Saoud ont toujours été bonnes, notamment en ce qui concerne leur aversion commune pour l’Iran, mais ces dernières années, l’Arabie saoudite a tenté de renforcer prudemment ses liens avec l’Iran. Cela est probablement lié à la transformation que connaît actuellement l’Arabie saoudite, qui passe d’un producteur de pétrole pur à une économie plus diversifiée. Il est évident que cette évolution se fera plus facilement dans un environnement aussi stable que possible. L’ambitieux projet de « ville intelligente » du gouvernement saoudien, connu sous le nom de « The Line », est un exemple de la transformation en cours (il représente actuellement la demande d’un cinquième de la production totale d’acier dans le monde) et indique que le pays préférerait probablement allouer ses ressources à ce projet plutôt qu’à des dépenses militaires supplémentaires.
Au milieu de tous ces développements, l’Europe se trouve dans une position peu enviable. Alors même que les États-Unis s’efforcent de desserrer les contraintes budgétaires, peu soucieux de l’impact sur la dette publique du fait qu’ils possèdent ce qui est (encore) la monnaie de réserve mondiale, de nombreux responsables politiques du vieux continent prennent la direction opposée. Le budget britannique récemment proposé prévoit la plus forte augmentation d’impôts depuis 30 ans, à partir d’une base déjà élevée. Si une partie de ces recettes publiques supplémentaires servira à financer des investissements dans les infrastructures, notamment dans les énergies renouvelables, la majeure partie est destinée au service national de santé (NHS), qui a manifestement besoin d’argent supplémentaire, mais qui est aussi, malheureusement, un secteur improductif. En France aussi, le nouveau Premier ministre veut réduire davantage les dépenses et augmenter les impôts. En Allemagne, le gouvernement s’est heurté à la politique insoutenable du déficit zéro.
En ce qui concerne l’UE dans son ensemble, et malgré les appels importants en faveur de plans d’investissement beaucoup plus ambitieux (cf. le rapport de Mario Draghi de septembre 2024 intitulé « L’avenir de la compétitivité européenne »), il ne semble pas y avoir de consensus sur leur mise en œuvre, avec la résistance habituelle des pays du Nord aux émissions d’obligations communes ou à toute forme de politique fiscale à l’échelle de l’Union Européenne.
Il semble donc que l’Europe restera à la traîne des États-Unis en termes de croissance économique, surtout si elle est bientôt frappée par des droits de douane à l’importation. Le même scénario menace d’ailleurs la Chine.
Dans la situation actuelle de grande incertitude autour des conséquences mondiales possibles de la politique américaine du président Trump, et des réactions qu’elle entraîne, qui pourraient d’ailleurs aller dans les deux sens, répartir les investissements au maximum (dans toutes les classes d’actifs et toutes les devises) semble la manière la plus appropriée d’éviter les écueils. Après tout, nous sommes confrontés à plusieurs années de forte volatilité et d’événements imprévisibles. Essayer d’être le plus intelligent de la classe ne semble pas approprié à ce stade.