En route vers une année spéciale

10 janvier 2025

Pascal Blackburne

Les marchés financiers ont entamé l’année 2024 avec de grands espoirs d’un changement de politique monétaire, dans un contexte de recul de l’inflation. La Banque nationale suisse, suivie de la Banque centrale européenne et, enfin, de la Réserve fédérale américaine ont répondu à leurs attentes, propulsant les indices boursiers vers de nouveaux records. Ni l’agenda électoral chargé, ni la situation géopolitique complexe et en pleine évolution n’ont pesé sur le sentiment des investisseurs. Ainsi, les portefeuilles équilibrés ont clôturé l’année en territoire solidement positif, les portefeuilles les plus exposés aux « Magnificent 7 » américaines affichant évidemment les meilleurs rendements. À l’aube d’une nouvelle année, la situation économique peut-elle encore s’améliorer ?

Pour cette première Lettre de 2025, il nous a semblé intéressant – voire instructif et quelque peu humble – de revenir sur chacune de nos éditions de 2024. Une telle démarche permet non seulement d’établir une forme de chronologie des 12 derniers mois, mais aussi de mettre en évidence les principaux facteurs de performance, positifs et négatifs, des portefeuilles. Et, bien sûr, elle soulève des questions intéressantes pour l’avenir.

Dans notre lettre de janvier 2024, nous nous sommes penchés sur la situation de l’offre et de la demande de pétrole, en raison de son importance pour les perspectives d’inflation et, partant, pour le potentiel d’assouplissement des banques centrales. Nous avons noté que le principal facteur de surprise se situait du côté de l’offre. Et ce n’est pas l’OPEP, qui s’en tient fermement à ses quotas de production, ni la Russie, dont la production peine à rester stable, qui sont en cause, mais bien les États-Unis. Les entreprises non cotées dans le pétrole de schiste recommençaient « à forer et à pomper comme s’il n’y avait pas de lendemain », écrivions-nous. Au point que les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole, avec une production de plus de 13 millions de barils par jour. Nous avons donc soutenu que le prix du pétrole était plafonné à court et à moyen terme, ce qui signifie que les marchés avaient raison d’anticiper un pivot de la politique monétaire. Cela dit, nous pensions que l’ampleur des réductions de taux serait plus proche des projections de la banque centrale (le « dot plot » de la Fed indiquait à l’époque trois réductions de 25 points de base) que de ce que les marchés financiers prévoyaient (six réductions). Du point de vue du portefeuille, la possibilité que les marchés soient remontés avec trop d’enthousiasme nous a amenés à préconiser un léger raccourcissement de notre duration moyenne dans la poche obligataire (à environ 5 ans).

Notre lettre de février était consacrée aux difficultés des banques régionales américaines. New York Community Bancorp venait de surprendre les marchés avec une perte trimestrielle de 185 millions d’USD et une réduction de 70 % du dividende, conduisant l’indice KWB Regional Banking à subir sa plus forte baisse en une journée depuis les faillites bancaires de mars 2023. Cette fois-ci, le problème n’était pas lié à des dépréciations de la dette publique ou à des déposants fragiles, mais à une provision pour des pertes potentielles dans le secteur de l’immobilier commercial. D’un point de vue économique plus large, cependant, les rapports continuaient de réserver des surprises positives et le scénario d’atterrissage en douceur se transformait en un scénario encore meilleur : c’est-à-dire la combinaison d’une croissance raisonnable et d’un recul de l’inflation. Nous avons choisi d’adopter la position du verre à moitié plein, estimant qu’une exposition légèrement plus élevée aux actions pourrait s’avérer payante, à condition qu’elle soit bien diversifiée. En effet, la volatilité globale des indices boursiers était très faible, mais il n’en allait pas de même pour les actions individuelles, en particulier en pleine saison des rapports trimestriels.

Dans notre lettre de mars, nous avons tenté d’assembler toutes les pièces du puzzle économique et financier : une tâche ardue ! Nous avons notamment fait part d’un point de vue plus optimiste que le consensus sur la Chine, en soulignant la très forte augmentation des importations chinoises de minerai de fer et de charbon au cours du mois précédent – les importations de ressources de base étant un indicateur fiable de l’accélération de l’expansion économique à venir. Nous considérons toutefois que cette hausse de la croissance est plutôt domestique, ce qui signifie que les investissements dans les actions chinoises très bon marché devraient se concentrer sur les noms domestiques, et non sur les sociétés exportatrices. En effet, la question des subventions accordées par les gouvernements américains et européens à leurs propres industries (les constructeurs automobiles en particulier) commençait déjà à faire les gros titres. Le mois de mars a également été marqué par les primaires américaines, ce qui laisse présager un remake du duel Biden-Trump de 2020, avec une « réelle chance » de victoire pour ce dernier, écrivions-nous. Les autres éléments qui ont retenu notre attention sont le découplage des marchés actions/obligations en cours depuis la mi-janvier, la décision déconcertante de l’US Securities and Exchanges Commission d’autoriser le lancement d’ETF bitcoin et le record historique que vient d’atteindre l’or, même si ce dernier brille habituellement pendant les périodes d’angoisse des investisseurs et de recherche de valeurs refuges.

Dans notre lettre d’avril, nous évoquions bien sûr la baisse des taux de la Banque nationale suisse à la fin du mois de mars, le faible niveau de l’inflation domestique lui ayant effectivement donné le luxe d’être la première des grandes banques centrales occidentales à réduire ses taux. Nous avons noté que si les investisseurs se réjouissaient, à juste titre, de cette nouvelle, ils devaient veiller à ne pas laisser les cours des actions s’emballer. Parmi les plus fortes performances récentes, on trouve certains constructeurs automobiles européens, ce qui nous a amenés à discuter de la mécanique complexe de la transition vers les véhicules électriques. Le marché boursier japonais a également été mis en avant pour ses performances impressionnantes au cours des trois derniers mois, grâce au niveau historiquement bas du yen par rapport au billet vert. Nous avons conclu que les marchés d’actions semblent globalement prêts à poursuivre leur trajectoire ascendante pendant un certain temps, avant les prochaines baisses de taux en Europe et aux États-Unis.

Dans notre lettre de mai, nous avons évoqué la dernière ligne droite difficile à parcourir dans la lutte contre l’inflation, en raison des tensions sur le marché du travail, des effets de second tour sur les prix et de la reprise des marchés des matières premières. Nous avons même suggéré de relever les objectifs officiels des banques centrales en matière d’inflation de 2 % à 3 %, ce qui rendrait les baisses de taux plus justifiables – et faciliterait ainsi la viabilité d’une dette publique croissante. Les pressions politiques s’intensifient en effet pour que la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale desserrent leur étreinte. Nous avons conclu en plaidant en faveur des obligations plutôt que des actions, en soulignant notamment le rendement de 4,5 % des bons du Trésor américain à 10 ans.

Notre lettre de juin a approfondi le « mystère de la disparition de la prime de risque sur les actions », en se penchant sur une étude intéressante de BCA qui attribue la reprise actuelle des marchés boursiers à un effet de « ruissellement » des injections massives de liquidités pendant et après la crise du Covid. Dans un premier temps, cet argent est allé en grande partie aux ménages à revenus faibles et moyens, dont la forte propension marginale à dépenser a stimulé la croissance économique globale. Mais une fois que les consommateurs ont dépensé cet argent, il n’a pas disparu du système. Au contraire, il est remonté jusqu’aux ménages les plus fortunés (entrepreneurs et investisseurs) sous la forme de distributions de bénéfices des entreprises. Ces citoyens n’ayant guère envie/besoin de dépenser, l’argent est resté bloqué dans le système financier. Pire encore, une bonne partie de cet argent a couru après quelques actions stars, dans les domaines de l’IA et de la biotechnologie en particulier, sans tenir compte des valorisations. Une situation qui, selon nous, augmente les risques de déception, d’où notre suggestion d’augmenter quelque peu l’exposition aux obligations et de réduire légèrement les positions en actions.

Notre lettre de juillet se concentrait sur l’Europe, considérant les récents développements politiques au Royaume-Uni et en France comme les deux faces d’une même médaille : un vote de défiance à l’égard des dirigeants précédents, des gains considérables (bien que moindres que ce que l’on craignait) de la part des partis « protectionnistes » d’extrême droite, et des espoirs largement répandus d’augmentation des dépenses sociales. Nous avons toutefois fait valoir que les mécanismes de la dette sont implacables. Au point que la France a été placée sous la surveillance étroite des agences de notation et des autorités de l’UE.

En août, nous sommes revenus sur le mois de juillet riche en événements, notamment la tentative d’assassinat de Donald Trump, la décision du président Biden de ne pas se représenter et – bien qu’un peu moins sous les feux de la rampe – la décision du Parti communiste chinois d’améliorer considérablement le système de sécurité sociale du pays, dans le but de stimuler la consommation intérieure. Au milieu de toutes ces nouvelles, les marchés des actions ont subi leur première correction depuis de nombreux mois. Bien qu’elle soit loin d’être suffisante, à notre avis, pour rendre à nouveau attrayante la valorisation des « 7 magnifiques ». Nous avons donc continué à plaider en faveur d’une allocation d’actifs prudente et très diversifiée. Parmi les actions, le choix a été difficile. La dynamique de croissance relative favorisait les actions américaines, mais leurs prix étaient élevés. À l’inverse, les entreprises locales chinoises étaient très bon marché, mais investir dans ce pays impliquait d’espérer une reprise de la croissance intérieure et d’accepter l’intervention imprévisible et arbitraire du gouvernement. Du côté des obligations, le tableau était un peu plus simple à nos yeux. Les rendements semblaient toujours intéressants, justifiant l’augmentation progressive de la duration mise en œuvre au cours des derniers mois.

Dans notre lettre de septembre, nous évoquions à nouveau la volatilité accrue des marchés, reflet d’une situation économique et géopolitique très incertaine. Chaque donnée publiée était scrutée de près par les investisseurs dans l’espoir d’obtenir des éclaircissements sur deux questions essentielles : la capacité des États-Unis à éviter une récession et l’ampleur de la baisse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale. Une tendance nous semblait toutefois inéluctable, celle de l’augmentation des déficits et de la dette publique. Cette tendance, combinée à une activité qui finira par ralentir, constitue un équilibre instable. Nous avons choisi de ne pas modifier notre allocation d’actifs, en conservant une duration moyenne des obligations plus longue (pour bénéficier de la baisse attendue des taux d’intérêt) et en conservant une approche plutôt « tactique » des marchés d’actions : pas trop d’exposition, une grande diversification et quelques munitions conservées pour pouvoir réagir à des corrections temporaires.

Notre lettre d’octobre a été largement consacrée au « whatever it takes » de la Chine, en référence à la série de mesures de relance annoncées par les autorités chinoises dans les derniers jours de septembre. Prenant le monde financier par surprise, ces mesures ont entraîné une très forte hausse du marché boursier local, qui était sous-évalué. Nous avons toutefois rappelé que Pékin avait décidé de s’appuyer sur des capitaux privés plutôt que sur des fonds publics, ce qui pourrait limiter l’impact économique à court terme du plan de relance. L’autre grand sujet d’intérêt était le Moyen-Orient, où le conflit entre Israël et le Hamas palestinien prenait une tournure beaucoup plus large. Nous avons notamment évoqué l’impact potentiel (à la hausse) sur le prix du pétrole en cas d’attaque des installations de production iraniennes et/ou de fermeture du détroit d’Ormuz, deux scénarios qui, à l’époque, n’étaient pas à exclure. C’est pourquoi nous avons indiqué que les investissements dans l’énergie, ainsi que l’exposition à l’or, constituaient des couvertures potentielles pour les portefeuilles contre les évolutions géopolitiques défavorables.

En novembre, notre lettre « d’alerte coup de vent force 9 » évoquait bien sûr l’élection de Donald Trump. Nous avons discuté des raisons de sa victoire étonnamment large et, plus important encore, nous avons tenté d’en mesurer les conséquences pour les États-Unis et au-delà. En bref, nous avons anticipé une hausse de l’inflation américaine, nous nous sommes inquiétés d’un assaut contre les organismes de réglementation aux États-Unis et nous avons souligné que les implications du changement d’administration américaine se feraient sentir dans le monde entier. En particulier, nous avons décrit la position peu enviable de l’Europe, tant sur le plan économique (de nombreux décideurs politiques tentent de resserrer les cordons budgétaires et les droits de douane américains menacent) que politique (compte tenu de l’absence de plans d’investissement et de politique budgétaire à l’échelle de l’UE). Face à cette incertitude, nous avons maintenu la diversification comme principal moteur de notre allocation d’actifs : « Répartir les investissements au maximum (dans toutes les classes d’actifs et dans toutes les devises) semble être le moyen le plus approprié pour éviter les écueils ».

Enfin, dans notre lettre de décembre, nous avons réfléchi à la forme de révolution qui se déroule sous nos yeux. Et il ne s’agissait pas seulement des États-Unis ou du Moyen-Orient. Nous évoquions en effet les profondes difficultés rencontrées par la France et l’Allemagne et, plus généralement, une menace pour la démocratie en Europe également – le contrôle des leviers politiques et médiatiques prenant une tournure inquiétante, à l’image de ce qui se passe aux États-Unis. Le glissement à droite du monde occidental s’accompagne bien sûr d’une attitude de plus en plus protectionniste, avec des conséquences économiques que nous avons illustrées en nous penchant sur les tendances du transport maritime. Nous avons donc terminé l’année en soulignant à nouveau la nécessité d’une approche prudente et sélective. Nous avons signalé que, la Réserve fédérale ayant probablement moins de marge pour réduire les taux, nous avions vendu nos obligations américaines à long terme, mais qu’il n’en allait pas de même pour l’Europe. Enfin, nous avons rappelé à nos lecteurs que nous restons de fervents partisans des fonds alternatifs, que nous considérons comme bien placés pour tirer parti de la volatilité future des marchés.

Quelle est la prochaine étape ?

Avec l’imprévisible président Trump qui prend les « commandes » des États-Unis ce mois-ci, et son « assistant » Elon Musk qui s’immisce de plus en plus dans l’arène politique internationale (par exemple en soutenant les partis d’extrême droite en Europe), tout peut arriver en 2025. Pour les investisseurs (et pour nous), il s’agit d’un véritable cauchemar. Comment faire face à toutes les « inconnues » des prochains mois : les barrières commerciales seront-elles déployées (et dans quelle mesure), l’Ukraine sera-t-elle contrainte d’accepter une défaite (contre sa volonté), les politiques climatiques existantes seront-elles inversées, la démocratie survivra-t-elle, l’OTAN sera-t-elle toujours soutenue par les États-Unis, l’UE continuera-t-elle d’exister sous sa forme actuelle, la dette publique restera-t-elle soutenable, les entreprises seront-elles capables de s’adapter assez rapidement aux nouvelles technologies (IA), la situation au Moyen-Orient échappera-t-elle à tout contrôle, la Chine restera-t-elle un géant endormi, l’inflation sera-t-elle maintenue sous contrôle, etc. ?

Certes, le monde a déjà connu des situations difficiles, mais nous avons toujours réussi à redresser la barre et à aller de l’avant, même si cela nous a parfois coûté très cher. Nous pensons que cette fois-ci ne sera pas différente.

Pour l’heure, notre objectif doit d’abord être de protéger le patrimoine de nos clients et, ensuite, de veiller à ne pas manquer l’opportunité éventuelle d’une envolée des marchés financiers si tout devait s’arranger. En effet, certaines des « inconnues » mentionnées précédemment pourraient s’avérer positives pour certains segments du marché.

Comment cela peut-il se faire ?

La règle n° 1 est d’être aussi diversifié que possible, en s’exposant à toutes les classes d’actifs, dans le monde entier.

La règle n° 2 est de ne pas paniquer, quoi qu’il arrive. Les investisseurs doivent rester sur leurs positions : certaines vont générer des gains, d’autres peuvent perdre un peu, mais en moyenne, le résultat sera plus ou moins bon en temps voulu.

La règle n° 3 consiste à s’appuyer – pour une partie du portefeuille – sur les gestionnaires de fonds alternatifs les plus expérimentés et les plus avisés. Ils devraient être en mesure de surfer sur les vagues à venir.

La règle n° 4 consiste à se constituer un petit « trésor de guerre », c’est-à-dire de disposer d’un peu de liquidités ou de conserver de l’or physique.

Nous vous souhaitons une année 2025 saine, heureuse et sûre, qui promet d’être imprévisible et mouvementée.

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